Dans l'harassante traversée du désert que constitue habituellement la saison estivale, écrasée par la chaleur méphitique des blockbusters pour spectateurs gobe-mouches, il est bien difficile de tomber sur l'oasis de fraîcheur qui nous fera tenir jusqu'à l'arrivée de la caravane. Certes m'objecterez-vous, il n'y a heureusement pas que des superproductions à l'affiche, on peut trouver, pour peu qu'on s'en donne la peine, quelque cinéma projetant des films plus ambitieux, et puis l'été c'est aussi la saison des rétrospectives, des festivals, des ressorties de toute sorte... Bon d'accord, j'avoue: moi aussi je suis en vacances, et mon cerveau réclame le droit au farniente, à condition de ne pas être pris pour une bille. Tout ça pour en venir au film qui nous occupe, et qui sortira le 17 Aout prochain: pur divertissement décérébré ou film d'action subversif? Au pays du matin pas si calme A en juger par le synopsis, rien ne laisse présager quoique que ce soit d'original: dans un village reculé de Corée du Sud éclate une pandémie qui transforme les hommes en zombis cannibales. Trouvant refuge dans le dernier train en partance pour Busan, une des rares villes échappant encore à la contamination, se retrouvent un aigrefin et sa petite fille, un couple dont la femme est enceinte, un clochard, deux vieilles filles, un magnat irascible, ne manque qu'un raton laveur. Coincés dans un wagon lancé à toute vitesse, encerclés par des hordes d'infestés qui menacent de les exterminer, ils vont devoir faire face et tenir...ou fuir et périr. Difficile de faire plus archétypal que ça. Mais la petite différence qui réveille notre curiosité, c'est que ça nous vient de Corée, le pays des matins pas si calmes, qui a régénéré depuis une dizaine d'années avec une vigueur priapique tous les genres cinématographiques, du policier au film d'horreur en passant par le drame psychologique. Mais parviendra t'il à réanimer le cadavre d'un genre aussi momifié dans ses codes que le film catastrophe? [Aparté: Oui Roland Emmerich c'est à toi que je parle, les films catastrophes plus personne n'en veut parce ce que tout le monde sait dès l'ouverture qui va survivre et qui va mourir, c'est toujours exactement la même trame et tu peux noyer la Terre entière sous le Déluge si ça te chante, c'est d'un ennui mortel et ça n'amuse que toi; alors tu arrêtes. Fin de l’aparté]. Le réalisateur et scénariste Yeong Sang-ho lui, nous vient du cinéma d'animation. Il a à son actif deux longs métrages mêlant fantastique et commentaire social, King of pigs et Seoul Station, ce dernier mettant déjà en scène une invasion de zombis. C'est donc en toutes connaissances de cause qu'il s'attaque à cet archétype, avec la volonté délibérée de l'adapter au goût du public coréen. l'anti-zack snyder en 3 leçons Première bonne idée: la concision dans l'exposition des personnages. Qui a vu ne serait-ce qu'un seul de ces films (comme Airport ou L'aventure du Poséidon) sait que le réalisateur va consacrer l'entièreté de la première bobine à un interminable tunnel de présentation des personnages avant que la première péripétie ne vienne lancer l'action. Ici, passé la rencontre avec le yuppie malhonnête et sa fille "qu'il ne sait pas comment aimer mais dont tu peux déjà parier que l'aventure qu'ils vont vivre va les rapprocher", l'histoire embraye rapidement jusqu'à leur arrivée dans le train, et c'est à travers leurs rencontres successives que nous feront connaissances avec le reste du casting. Deuxième bonne idée: le contrepoint musical. Prenant le contrepied des standards hollywoodiens -dont le cahier des charges stipule que pas une seconde de métrage ne soit exempte de trompettes Zimmeriènnes ou d'échevelées envolées Williamesques dès que le héros allume sa cafetière- Yeong Sang-ho élimine pratiquement tout recours à une partition extra-diégétique, à l'exception de quelques passages bien précis lors de scènes d'actions ou de climax dramatiques, pour lesquels le compositeur a inversé la règle "moment héroïque=musique héroïque" en y substituant un ton systématiquement mélancolique. Du coup la musique ne sert plus de simple faire-valoir à l'image en la surlignant: elle la nuance. Parcimonie et nuance, voilà bien deux mots qu'on n'accole pas souvent au tout-venant du cinéma d'exploitation, mais dont l'usage se justifie, pour une fois, pleinement. Troisième bonne idée: la sobriété de la mise en scène. Bien que le film ne se montre pas avare en cascades spectaculaires et rebondissements vitaminés, Yeong-Sang-ho a eu la bonne idée de se concentrer d'abord sur ses personnages, leur consacrant à chacun le petit moment nécessaire pour leur octroyer le supplément d'âme qui suscite l'empathie du spectateur. Épaulé par un casting solide (même la petite fille joue juste, un exploit dans ce genre redouté pour sa surreprésentation en Enfant Geignard Énervant), il parvient à donner vie aux pantins de papier que sont habituellement les personnages de ce type de productions, n'ayant d'autres finalités que d'incarner jusqu'à la caricature les archétypes sociaux de leur temps; surtout, il les intègre en quelques répliques savamment disposées à certains moments-clés du récit dans la réalité économique, politique et écologique de la Corée contemporaine. Quant à la mise en scène proprement dite, elle se révèle dans le soin que le réalisateur a mis à chorégraphier le déplacement de ses personnages dans l'espace clos du train. Tout les cinéastes vous le diront, rien de plus casse-tête que de filmer un huis-clos sans sombrer dans l'ennui. Yeong-Sang-ho ajoute un niveau de difficulté en plaçant l'action dans un train, un wagon, voire un cabinet de toilette. Comment filmer un lieu aussi banal et répétitif qu'un train sans perdre le spectateur? Comment passer d'un wagon à l'autre de façon lisible? Comment filmer une bagarre entre des dizaines de figurants sans se retrouver égaré au milieu d'un pack de rugby? Quelle valeur de cadre adopter, quels angles explorer, rejeter? A ces questions, passionnantes pour qui s'intéresse à l'art de filmer (mais secondaires j'en conviens à la majorité des trois internautes qui me lisent, vous pouvez donc sauter ce paragraphe), Yeong-Sang-ho répond encore par une pirouette, en refusant l'option qui semblait la plus évidente: le Scope. Même Snowpiercer, qui partage de nombreux points communs avec Dernier train pour Busan et que je considère comme ce qui s'est fait de mieux dans le domaine des huis-clos post-apocalyptiques ces dernières années, même Snowpiercer avait reconnu l'évidence du tournage en Scope, donnant à la démesure de son train lancé à toute vitesse vers le Grand Rien des allures de spectacle wagnérien. Et bien là, non. Yeong Sang-ho, ça n'est pas son propos. Il filme donc en Pano, un format moins large, plus proche de la vision humaine et davantage utilisé pour cadrer des drames réalistes. Rien que ça, ça change tout. Yeong-Sang -ho filme à hauteur d'homme, reléguant le spectaculaire à l'arrière-plan. Ce qu'il nous montre est moins le chaos que la frêle poignée d'hommes cherchant à s'y soustraire. On est loin, très loin de Michael Bay et Zack Snyder... Et en parlant des parkinsoniens de la Moviola, je me dois de souligner la sobre efficacité et la remarquable clarté du montage. Aucun sur-découpage épileptique ne vient en effet polluer les scènes d'actions, qu'il s'agisse d'affrontement ou de poursuite; un tel choix dans un tel décor aurait rendu le film définitivement inintelligible, et c'est tout à son honneur d'y avoir résisté. Je sais que ça peut sembler bizarre de féliciter un auteur de ne PAS avoir fait quelque chose, mais c'est devenu aujourd'hui si rare dans le cinéma d'action contemporain que ce qui passait autrefois pour du simple bon sens fait aujourd'hui presque figure d'audace. le verre d'eau à moitié plein Au vu de tout le bien que je viens d'en dire, Dernier train pour Busan, qui s'annonce déjà comme la grosse sortie du mois d'Août, a tout pour séduire tant le vacancier distrait que le cinéphile un poil plus exigeant. Oui, mais...(il y a toujours un mais, et dans ce cas il y en a même plusieurs). Si le film sait faire preuve d'une certaine originalité formelle, on ne saurait en dire autant du scénario. Certes le réalisateur s'en est expliqué dans la presse en justifiant cette volonté de reprendre un genre américain ultra-codifié pour le mitonner à la sauce coréenne, mais on ne peut s’empêcher de penser: pourquoi s'être arrêté en si bon chemin? Pourquoi ne pas avoir appliqué la même ambition à la narration, pourquoi s'être contenté des mêmes archétypes à peine peaufinés, des mêmes traits caricaturaux? Les personnages ne sont rédimés que par l'abattage des acteurs, tous excellents chacun dans leur registre, qui s'étend du naturalisme le plus sobre (le héros malgré lui) à la pantomime digne d'un acteur de théâtre Kabuki gavé aux speedballs (le méchant homme d'affaire qui ne recule devant aucune vilenie pour sauver sa peau). Dommage... Un autre point faible, lié à la mise en scène, est qu'elle ne respecte pas toujours les règles qu'elle s'était imposées au départ, en particulier en ce qui concerne le huis-clos. Et pour comprendre où est le problème je vais à nouveau devoir faire la comparaison avec Snowpiercer. Dans le film de Bong-Joon-ho, les enjeux dramatiques sont sans équivoque: la terre est une boule de glace, seul le train roulant à sa surface est encore capable d'abriter la vie. Toute sortie hors du train équivaut à une mort immédiate. C'est clair pour le spectateur comme pour les protagonistes: quels que soient les périls auxquels ils seront confrontés, tout fuite est impossible. Vous ne pouvez pas sortir, et vous assistez aux péripéties de l'histoire avec d'autant plus de fébrilité que vous êtes piégés vous aussi en tant que spectateur, dans l'espace confiné du train. La tension qui en découle est proportionnelle à la claustrophobie que la situation vous inspire, et c'est ce qui rend le film si redoutablement efficace. Là, Yeong-Sang-ho saisit toutes les occasion à sa portée pour sortir du cadre qu'il s'était donné, au nom d'une logique discutable, puisque la menace est présente tant dans le train qu'en dehors de lui. Chacune de ces échappées (dans une gare, sur les voies, etc) dont la seule utilité dramatique est de se débarrasser d'un personnage nous extirpe de notre position comme une pause publicitaire en plein milieu d'un film: toute la tension retombe, on commence à penser à autre chose et on attend bon gré mal gré que la nuisance disparaisse avant de replonger dans le cours de l'histoire. Toute la force d'un récit en huis-clos repose sur le fait que vous ne sortez pas du cadre que vous vous êtes donné. Tricher avec cette règle, c'est tricher avec le film, mais plus grave c'est trahir le pacte implicite que vous avez signé avec le spectateur, et ça c'est difficilement pardonnable. Un dernier problème, mais celui-là est de taille pour qui fréquente assidûment le cinéma fantastique actuel: les antagonistes. Ça fait une quinzaine d'années maintenant que les zombis ont envahi la planète médiatique: films, séries télé, jeux vidéos, zombie-walk, BD, aucun médium n'y a échappé. A l'origine de cet engouement planétaire, deux films du début des années 2000, 28 jours plus tard, de Danny Boyle et surtout L'armée des morts de Zack Snyder. Du premier a émergé une variante jusqu'alors marginale dans l'univers des morts-vivants: l'infesté, victime d'un virus qui se propage à toute vitesse et transforme ses porteurs en cannibales décérébrés; du second on a surtout retenu le comportement des créatures: contrairement à l’œuvre séminale de G. Roméro dont il reprend la trame, les zombis de Snyder ne sont pas des lambins, des corps pourrissants animés d'un restant de vie aussi faible qu'un lumignon dans la tempête: ce sont des fauves, des enragés, qui courent après leur proie avec une énergie sauvage. Cette imagerie combinée, qui a contribué à donner un nouveau souffle au genre, était certes bluffante il y a quinze ans, mais elle a été usée jusqu’à la corde depuis, et est devenue a son tour un cliché. C'est là que le bât blesse: quitte à adapter à un environnement culturel différent le personnage du mort-vivant, pourquoi s'être contenté de reproduire pour la énième fois la figure du zombi (ou de l'infesté) rugissant? N'y avait t'il pas dans le folklore coréen de quoi puiser les traits d'une nouvelle créature, un peu moins rebattue, aux comportements moins prévisibles? La conséquence d'un tel attachement et d'une telle absence de prise de risque concernant la forme de la menace que doivent affronter les personnages est sans appel: aucune surprise. Elle est parfaitement identifiée, on sait exactement comment ça fonctionne, et on attend que ça se passe. Seul détail un peu travaillé: les zombis sont aveugles et traquent leurs proies à l'oreille; et ça encore, on l'avait déjà vu dans The Descent de Neil Marshall, et c'était en 2005. Dommage, trois fois dommage... Au final, on a la décevante impression d'assister à l'ébauche d'un film qui aurait été bien meilleur si l'auteur était allé au bout de sa logique au lieu de rester au milieu du gué. Ou pour filer la métaphore ferroviaire, le dernier train pour Busan est parti tout seul, et les passagers sont restés sur le quai. A voir pour le fun d'un grand tour en montagne russe, mais oublié aussitôt regardé. SORTIE LE 17 AOÛT 2016 crédits photos ARP distribution LAST TRAIN TO BUSAN écrit et réalisé par Yeong Sang-Ho, avce Gong YoO, Yeong Yu-Mi. Corée du sud, 2016 118mn.
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