du sel, du feu et une étincelle Quand on évoque le nom de Werner Herzog, difficile de ne pas enclencher la machine à clichés journalistiques : cinéaste de la démesure, hanté par une vision pessimiste de la nature humaine, fasciné par les comportements hors-normes, habitué des productions cataclysmiques ; et bien sûr, obombrant tout le reste, sa collaboration mythique avec Klaus Kinski, devenue légendaire autant par les films qui en sont nés que par leur relation explosive. C'est oublier un peu vite que le bonhomme a fait preuve tout au long de sa carrière d'une versatilité peu commune : 20 long-métrages de fictions dans les genres les plus divers, du polar de commande (Bad lieutenant Nouvelle Orleans) au film d'horreur gothique (Nosferatu) en passant par le film de guerre (Rescue Dawn), autant de documentaires sur des thèmes aussi étranges que les mirages (Fata Morgana), la peine de mort (Into the abyss) ou les peintures rupestres (La grotte des rêves perdus), sans compter les courts et moyens métrages et une petite carrière d'acteur dans les films des autres (je ne mentionne que pour le plaisir son apparition surréaliste dans le rigolo Incident sur le Loch Ness, qui vaut le détour!). Bref, Werner Herzog n'est jamais où on l'attend ; c'est ce qui fait sa force, mais c'est aussi sa croix, parce que nous, spectateurs biberonnés au lait de ses exploits, aurons toujours tendance à mesurer la nouveauté à l'aune de sa gloire passée, et il y a peu de chances que Salt and Fire s'en tire avec les honneurs. une trop longue attente? Afin d'expliquer pourquoi je vais évidemment devoir rentrer dans les détails, alors pour ceux qui veulent découvrir le film en salle, c'est l'heure de la Chronique Tele 7 jours par Jean-Michel Zemmour, avec un résumé de l'intrigue et son avis en deux lignes, ne nous remerciez pas c'est cadeau. « Si vous avez raté le début : une équipe de scientifique mandatée par l'ONU débarque dans un désert de Bolivie pour documenter un désastre écologique causée par une grande entreprise. Dès leur arrivée à l'aéroport ils se font kidnapper par un commando dirigé par un savant fou en fauteuil roulant qui les séquestrent dans une hacienda. Notre avis : un film sans queue ni tête, à l'intrigue incohérente, au message écologique balourd, desservi par des acteurs en roue libre .Mention spéciale à la comédienne Veronica Ferres qui réussit l'exploit de rater TOUTES ses scènes. Werner Herzog s'est payé un mois de vacances dans un décor sublime aux frais de la production mais il a perdu son Mojo, et nous notre temps. » Merci Jean-Michel Zemmour, reviens déverser ta bile quand tu veux, tu as ton rond de serviette à Cabine Fever. La vie est une pièce écrite par un fou... A vrai dire j'étais dans le même état d'esprit que Jean-Mi à la sortie de la projection. Déçu, pour ne pas dire accablé. Et puis...et puis une note figurant dans le dossier de presse est revenue me titiller le cortex pendant que je commençais à écrire une chronique assassine. Le film y est décrit comme une rêverie poétique sur fond de drame écologique. Au début j'ai balayé l'argument, le considérant une tentative désespérée des attachés de presse (dont la fourberie est proverbiale) pour nous refourguer une camelote invendable. Un peu facile de disqualifier les critiques visant les incohérences du scénario en invoquant la magie du rêve. Et malgré tout, en y repensant, il y avait peut-être là quelque chose à creuser. Alors creusons. Le film, d'un point de vue narratif est construit classiquement en trois parties. Un premier acte très court, dans lequel l'exposition des personnages est réduite au minimum et où intervient très rapidement la prise d'otage. Le deuxième acte, le plus long, se passe intégralement dans l'hacienda, et se concentre sur la confrontation entre la scientifique Laura Sommerfeld (Veronica Ferres) et Matt Riley (Michael Shannon), où l'on apprend qu'il est le Big Boss responsable de la catastrophe et que c'est lui qui les a enlevé. Le dernier acte, l'ordalie, jette Laura dans le désert avec pour seule compagnie deux enfants aveugles qu'elle devra protéger de la mort jusqu'au retour de Riley, une expérience initiatique que ce dernier lui impose pour qu'elle saisisse l'importance de l'altruisme. Le film se conclut sur les retrouvailles de Sommerfeld, de Riley, des enfants (dont on comprend qu'ils sont les siens) et du savant fou en fauteuil roulant qui célèbre la victoire de la Vie en envoyant son fauteuil à travers le désert propulsé par un magnum de champagne. Et là vous vous dîtes : mais ça n'a aucun sens ! Pourquoi Riley enlève des gens venus dénoncer la catastrophe dont il est responsable, si ce n'est pas pour les faire disparaître ? Pourquoi imposer à Laura une épreuve initiatique censé lui ouvrir les yeux sur la nécessité de sauver le monde, puisqu'elle en est convaincue dès le départ ? Pourquoi avoir introduit des personnages dans le premier acte (Gael Garcia Bernal et Volker Michalowski qui jouent les deux autres scientifiques) pour les faire disparaître de l'intrigue sans aucune raison dès le deuxième acte ? ...et qui ne signifie rien (sauf qu'en fait si, un peu) Le premier réflexe face à un tel chaos, avant de partir dans des considérations erratiques sur des choix artistiques hasardeux, est de musarder du côté des conditions de production. Bonne pioche. Le film tel qu’intentionnellement pensé devait prendre pour cadre le désastre de la mer d'Aral, et devait comprendre un casting local, ce qui aurait davantage correspondu aux désirs d'Herzog. Confronté à des difficultés insurmontables, les producteurs ont changé leur fusil d'épaule, déplacé l'intrigue en Amérique du Sud, opté pour un casting international et obligé le metteur en scène à improviser. Herzog est coutumier du fait, certes, mais là il a dû faire contre mauvaise fortune bon cœur, et ça se sent. Néanmoins, dans ce naufrage annoncé, certains moments rédiment le film, non pour ce qu'il dit, mais pour ce qu'il est, et pour étayer mon propos je vais devoir digresser un instant. Au cinéma les structures narratives qui n'obéissent pas strictement à des règles logiques sont souvent mal comprises, ou mal admises par les spectateurs que nous sommes. Alors que nous sommes prêts à accepter dans la littérature que des personnages agissent en dépit du bon sens ou contre leur intérêt , voire soient exempt de toute psychologie (au hasard le procès de Franz Kafka, la vie est un songe de Calderon, locus solus de Raymond Roussel, sans compter tout ou partie de la littérature Dada et du Nouveau Roman), il aura fallu attendre les audaces d'un Wocjiech Has (La clepsydre) d'un Bunuel (L'ange exterminateur) ' d'un Bellochio (Le prince de Hombourg) ou d'un Lynch pour imposer une vision a-logique du cinéma auprès du grand public. Et c'est là que je me suis souvenu de Coeur de Verre. Réalisé en 1976 par Herzog, ce film aussi présentait des caractères surréalistes et détachés de toute psychologie, et pour cause, les acteurs jouaient sous hypnose. Les plans étaient fixes, la sensation ressentie par les spectateurs floue, incertaine, mais c'est exactement par ce décalage entre la caméra et le jeu des acteurs que ça fonctionnait. Dans Salt and Fire, c'est exactement le contraire : les personnages sont souvent fixes et la caméra les entoure. Contrairement au style qu'il a si souvent adopté , Herzog délaisse l'optique naturaliste de la caméra à l'épaule et opte pour de longs travelling en Steadycam qui virevoltent autour des acteurs, produisant un effet de légèreté, de flottement cotonneux qui contribue à l'irréalité ambiante. Ajoutez à cela une touche d'humour non-sensique d'autant plus perturbante qu'on ne s'attend pas du tout à la trouver chez un auteur réputé austère, et vous finissez de perdre pied. Du coup, les incohérences du script, la disparition de protagonistes ou les retournements de situations apparemment gratuits en paraissent bizarrement davantage justifiés. Comme dans un rêve. Mais ce qui m' a fait partiellement reconsidérer ma première impression négative du film, c'est un scène qui se détache complètement de la narration, et qui se situe au mitan du deuxième acte. Alors que la tension entre Riley et Laura est à son comble, il l'invite dans son cabinet de curiosité à contempler des peintures anamorphiques dont on découvre qu'elles recouvrent les couloirs de l'hacienda. Dans la diégèse du film il s'agit pour Riley de pousser Laura à changer de paradigme et de la pousser à observer la réalité en changeant de point de vue, ce qui ne fait pas vraiment sens puisqu'ils sont d'accord depuis le début. En revanche, si on considère cette scène du point de vue du metteur en scène, elle prend un tout autre sens : nous demande t-il, à l'image du dernier acte, de nous défaire de nos oripeaux de fans transis et de le juger pour ce qu'il est aujourd'hui, et non pour ce qu'il a représenté, un artiste libre, et libre de se tromper ? Si tel est le cas, Salt and fire est un pied de nez filmique à la critique qui tente d'enfermer les artistes dans des cases ; dans le cas contraire, c'est juste un film raté commis par un grand cinéaste, et que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première pierre. SALT AND FIRE Ecrit et réalisé par Werner Herzog d'après la nouvelle de Tom Bissel "Aral" Avec Michael Shannon, Veronica Ferres, Gabriel, Gael Garcia Bernal... Allemagne/ 2016/93mn bonus Envie d'un film écolo sur un thème similaire pas gnangnan pour retrouver la foi dans le cinéma? Alors foncez voir "Clear cut", un obscur film canadien réalisé par Ryzardt Bugajski en 1991, et que j'avais découvert à l'époque lors de son passage sur Canal. C'est l'histoire d'un Indien qui kidnappe l'avocat censé protéger ses terres des forestiers, ainsi que le CEO de la compagnie forestière, pour les confronter aux conséquences de leurs choix. Un pitch très proche de celui d'Herzog. C'est cruel, noir, violent, sans concessions, et un poil fantastique (l'indien joué par l'immense Graham Greene est peut-être un esprit). Ca se trouve sur Youtube en VO non sous-titrée, mais ça vaut largement le déplacement!
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