Par Sophie Louge un premier amour qui ne tient pas (toutes) ses promesses Mettre en scène les premiers émois amoureux n’est pas franchement original mais a parfois donné de très beaux films. Choisir pour cadre des cités périurbaines un poil sordides donne une légère sensation de déjà-vu mais peut augurer d’un propos subtil, mêlant sentiments universels et chronique de l’air du temps. Le tout à la mode russe, c’est suffisamment rare pour éveiller la curiosité. On s’installe donc dans son fauteuil avec un a priori plutôt positif, convaincu que ce cocktail somme toute assez banal sera rafraichissant une fois déglacé à la vodka. Sauf qu’on est déçu. Alors on a cherché à comprendre pourquoi, en trois petites questions. la vodka donne t'elle du goût à l'amourette? Et bien pas franchement: Le cocktail idylle-vodka tourne moins la tête que prévu. Au premier regard le petit blondinet tout juste sorti des jupes de sa mère tombe sous le charme d’une désarmante jeune fille en fleur aux faux airs d’Anicée Alvina. Elle se retourne et le fixe, timidité dissimulée derrière des lunettes de star et un petit air boudeur, un peu effarouché mais ostensiblement provocateur. Les parents résistent un peu pour la forme, les petits caïds du quartier pour épater la galerie, mais les tourtereaux n’ont en réalité à affronter que des obstacles d’opérette. A la deuxième rencontre, tout le monde au lit. Ok ces deux là vont s’aimer et être heureux. On est bien content pour eux mais pour être tout à fait honnête, on s’en fiche un peu. On s’attendait à une insouciance inquiète et hésitante, toute en légèreté, et on se retrouve devant un destin de conte de fées sponsorisé par Groupama. Quand on pense qu’il a fallu presque deux heures à Jacques Doillon pour filmer les hésitations d’une Fille de quinze ans , paumée sur une île grecque, cherchant à découvrir ce que signifie aimer et être aimé, ça laisse tout de même songeur. On attendait un maelström de sentiments, on ne nous livre que des anecdotes: le regard d’adulte qui se pose sur les héros nous prive d’une plongée authentique dans la psychée adolescente. Parce que tout de même, bien qu’on ait largement passé l’âge, on se souvient que ce temps là n’est ni heureux ni serein et c’est lui qu’on aurait voulu retrouver. Peut-être pas le malaise de Bonjour tristesse ou l’angoisse sourde des Petites amoureuses d’Eustache mais au moins un peu du désarroi d’Antoine face à Colette que Truffaut filmait si bien. Et puis surtout on se demande ce qui va bien bien pouvoir se passer maintenant, vu qu’il reste quand même une heure trente de film. Pas grand chose en fait, même si ce presque rien n’est pas totalement dénué de charme et d’humour. Des petites scènettes se succèdent, sympathiques certes mais sans réelle nécessité. On a ainsi droit pêle-mêle à “Alex et Vika au parc”, “Alex fait visiter sa chambre à Vika”,“Alex s’ennuie en cours de maths et dessine sur ses livres de classe”, “Alex et ses copains font du tourniquet” ou encore “Alex et ses copains jouent à qui crachera le plus loin”. C’est pas tout à fait du Rohmer. Comme on s’ennuie un peu, on a le temps de regarder les autres spectateurs. Les ado sont hypnotisés. Normal, on leur montre un quotidien idéal pas très éloigné des séries qu’ils regardent après les cours, leur zone de confort n’est pas malmenée, tout va bien. Les parents les observent du coin de loin de l’œil, guettant leurs réactions et espérant sans doute quelques confidences à la sortie. Trois sexagénaires, un peu déconnectées, se tiennent les côtes non-stop comme devant un remake des p’tites canailles. Quid du cinéma dans tout ça? Nous qui pensions retrouver le temps perdu n’avons que des baisers coucher de soleil et des fous-rire coca-cola à nous mettre sous la dent. La mondialisation n’a pas que du bon. que reste t'il de nos amours? Des photos, vielles photos, de l’adolescence du réalisateur. Une nostalgie du temps perdu, mais à la russe s’il vous plait. Car si le film ne réussit pas à rendre compte des subtilités de l’éducation sentimentale et existentielle de ses jeunes héros il devient franchement convaincant lorsqu’on comprend que l’essentiel est ailleurs, en arrière plan, et que ce sont les personnages secondaires qui lui donnent tout son sens. N’en déplaise à ceux qui sortent en s’écriant “mon Dieu que ça fait du bien!”, ce n’est pas un "feel good movie". C’est un film russe, marqué au fer par un destin à la Dostoïevski . Ces joyeux bambins repus d’amour, chantant et riant, viendront bientôt crier famine comme leurs parents ou leurs professeurs qui boivent, hurlent et pleurent pour moins se sentir mourir. Ça donne tout de suite moins la patate mais c’est drôlement émouvant (même si les rires de baleine derrière moi viennent un peu parasiter la dite émotion). Contrairement à l’évanescence des premières amours qui est filmée avec la légèreté d’un éléphant entrant dans un magasin de porcelaine , le ton tragi-comique adopté pour rendre compte des tempêtes qu’elles déclenchent sous le crâne des adultes fait mouche. La mère, papillotes sur la tête et peignoir panthère improbable, est aussi drôle que bouleversante. Passant du rire au larmes, recroquevillée entre deux fauteuils hypra kitch pour ne pas déranger les ébats de son fils, ou errant entre les tourniquets en bas de l’immeuble (ceux là même où Alex jouait au début du film) elle se retrouve sur le banc de touche sans avoir eu le temps d’y penser. La liqueur que son apprenti Romeo de fils fait boire à Vika elle en connait l’arrière goût. Elle a trinqué avec le père d’Alex, qui a disparu depuis. Elle sait bien que, contrairement à ce qui est écrit sur l’étiquette, il est loin d’être sucré mais bel et bien amer. Elle sait bien que, comme le dit sa sœur (incroyable sorcière aigrie, burlesque et pathétique à la fois, brûlant des tapis pour éloigner les mauvais esprits mâles lorsqu’elle a trop forcé sur la Vodka) Alex va grandir et devenir un salopard comme les autres. Tout cela est très réussi mais un peu hors sujet. Alors de deux choses l’une: soit le film est vendu pour ce qu’il n’est pas, soit nous n’avons rien compris. les sixties 2.0, ça fonctionne? Ceux qui défendent le film le disent universel et intemporel. Certes on a tous été amoureux à 14 ou 15 ans, subi des profs tyranniques ou incompétents et maudit nos parents qui ne comprenaient rien (pensait-on) à tout ça. Certes il y a des cités glauques et des petits caïds pathétiques dans toutes les banlieues. Mais les filles qui portent des jupes en jean, font des bulles avec leur chewing-gum, achètent des chupa-chups, vont à des boums et dansent des slows ont disparu des écrans radars depuis les années 80. Quant à Lou reed, il se fait rare sur les playlists des moins de trente ans. Alors bien sûr il y a les téléphones portables et Facebook pour se reconnecter avec la jeunesse d’aujourd’hui mais le mix manque de flow. C’est comme les œufs à la russe (pour les novices, des œufs durs garnis de mayonnaise, de pastrami et de cornichons): que des bonnes choses mais pas très digeste. Le premier plan du film montre un ouvrier en bâtiment ravalant grossièrement les carreaux d’une façade. C’est là tout un programme: faire du neuf avec du vieux, grâce à des héros juvéniles (un truc qu’on fait très bien en France aussi…) et surfer sur la vague du vintage nostalgique pour faire du mignonnet tristounet "marketé" 13-18 ans. Alors le film n’est pas interdit aux moins de 16 ans mais il se peut qu’il soit dispensable pour ceux qui commencent à guetter leurs premiers cheveux blancs. 14 ANS PREMIER AMOUR de Andreï Zaytsev, avec Gleb Kalyhuzny, Ulyana Vaskovich, Olga Ozallapynnia... Russie / 1h46mn sortie française le 10 mai 2017
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