Chronique spéciale garantie 100% Spoil Free, le dernier coup de cœur d'Innana Ivert parle d'amour naissantes sur fond de No Future à fond les décibels. Une pépite bordelo-métaphysique à découvrir d'urgence! UPDATE: Sophie Louge, tout aussi conquise par cet OFNI, rajoute son grain de sel! alors si vous n'avez pas encore vu ce film, lisez en priorité le texte enthousiaste d'Innana, et quand vous l'aurez vu, revenez sur celui de Sophie, qui analyse avec sa pertinence habituelle les dessous d'une œuvre inclassable. Punk is not dead! Les meufs, la jeunesse et le punk, mode d'emploiC'est l'été, il fait chaud, et c'est l'époque des vacances et des blockbusters pourris. Pour échapper à la plage / votre famille / la chaleur / la coupe du monde de football, je vous propose de vous rendre immédiatement en salle découvrir le petit bijou que voici. Mais par pitié, essayez d'éviter de vous spoiler en regardant la bande annonce ou en lisant quoi que ce soit d'autre sur le sujet. Allez-y vierge, faites moi confiance, vous me remercierez (j'avais moi même quasiment réussi cette mission, jusqu'au hall de mon cinéma préféré qui a malheureusement fait le choix d'afficher des articles qui m'ont gâché la surprise. Je ne vous remercie pas, les gars... ). Vic, John et Enn sont trois jeunes de la banlieue londonienne à la fin des années 70. Ils sont punks, fans d'un groupe plutôt underground (et bien barré), les Dyschords.. Un soir, après avoir assisté à leur dernier concert, cherchant à s'incruster à l'after de leur idole, ils arrivent dans un manoir et tombent sur un rassemblement de gens vraiment étranges, une secte bizarre, mais décident de rester quand même à la fête (bah, oui, il y a des filles relativement jolies)... Enn rencontre alors Zan, une blondinette mignonne et californienne (??) avec qui il passe la nuit… à parler (No sex please, we are british!). Pour ne pas dévoiler davantage du film, je suis obligée de m’arrêter ici dans le synopsis. Et croyez-moi, cela vaut la peine de ne rien savoir avant d'être devant l'écran. Je ne vais même pas dévoiler la seule star du casting, qui, je l'avoue, m'a autant surprise que fait rire dans un rôle à total contre-emploi. Le film arrive à transformer une histoire d'amour basique en mini-conte de fée rock, drôle et touchant à la fois, grâce à la profondeur des personnages et à leur réalisme sauvage. On ne peut s'empêcher d'être touché par ces deux jeunes qui se découvrent et s'aiment, contre toute attente, malgré leurs différences (ou à cause d'elles) dans ce tourbillon de folle énergie qui vous emporte et vous laisse pantelant mais heureux, conquis par cette jolie histoire. Je n'ai pas lu la nouvelle graphique de Neil Gaiman, dont est tiré le scénario, mais le réalisateur (qui a aussi fait Hedwig and the angry inch, que j'ai envie de voir, pour le coup) explique que l'univers est fortement inspiré de la jeunesse punk de son auteur, à Croydon, dans la même ville où se déroule l'action de How to talk to girl... Il ajoute même que dans l'époque actuelle, on a probablement au moins autant besoin de la folie punk que dans les années 70, étant donné la « noirceur, la dureté et l'accablement qui règne en chacun de nous à l'heure actuelle ». Bref, allez-y les yeux fermés [ NDLR: pensez quand même à les ouvrir pendant la séance, il y a de jolies couleurs qui piquent], pour rire, être ému, et passer un des meilleurs moments cinématographiques de ces derniers mois (en tout cas le plus punk, sans aucun doute ! HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES réalisé par John Cameron Mitchell d'après un roman de Neil Gaiman avec Elle Fanning, Alex Sharp, pleins d'acteurs formidables et une star australienne dont Innana m'interdit d'écrire le nom. GB/ 2018/ 1h42 PETIT MANUEL DE SURVIE À L’USAGE DES VICTIMES DU CONSERVATISME POSTMODERNE À CONSOMMER TRÈS FRAISpar Sophie Louge Vous souffrez de la chaleur, vous avez la tête qui chauffe et les pieds qui collent? Profitez de la programmation light de l’été pour tenter l’aventure, oser ce qui décoiffe et défrise: donnez à ce film, que l’on pourrait être tenté de qualifier de mineur, la chance de se révéler une surprise majeure. Même sans clim, vous sentirez la petite brise… Leçon 1: Arrêtez de rangerHTTTGAP est un vrai film d’été, qui s’étire et s’avachit avec une indolence jouissive. Une sorte de relâchement général y prend le pouvoir, ce qu’on n’a pas manqué de reprocher à John Cameron Mitchell, blâmant l’aspect décousu de son intrigue, l’accumulation désordonnée de son “esthétique”, ou l’imprécision de sa playlist (on ne plaisante pas avec le Punk!). Toujours prompt à diagnostiquer chez les réalisateurs certains manques consubstantiels ou défauts de savoir-faire comme autant de tares irrévocables, “on” ne s’est donc pas demandé pourquoi HTTTGAP était décidément (ou résolument) si relâché, sinon pour l’accuser d’une recherche complaisante du “mauvais effet” (le goût pour la série B et le cinéma de genre serait donc devenu une maladie honteuse…). Certes, la chaleur fatigue, mais peut-être pourrait-on se donner la peine d’essayer de comprendre avant de juger… Certains combinent les alcools et les substances, d’autres les rayures et les carreaux (les British sont très forts à ce jeu là, c’est tout de même eux qui ont inventé le kitsh…) mais il y a toujours un ayatollah de la morale et du bon goût raisonnable pour prononcer la sentence fatale: “les mélanges à tout prix tu éviteras”. Sauf que John Cameron Mitchell n’a pas du tout l’intention d’obéir et, comme en d’autres temps certaines enlevèrent leur soutien-gorge, va se débarrasser du carcan de la cohérence générique, esthétique et idéologique. Dommage pour ceux qui n’aiment pas embarquer sans savoir où ils mettent les pieds et regarderont de loin cet équipage aussi foutraque que joyeux s’éloigner des rivages familiers: un film punk ne peut décemment pas être consensuel et de bon goût (cqfd). Rappelons à qui aurait oublié le cours de l’Histoire et de linguistique générale qu’un concept alternatif ne saurait être univoque et encore moins autoritaire. Le Punk, le vrai, n’est pas une idéologie mais un vœu de désobéissance systématique à toute forme de système, y compris la désobéissance elle-même. Tolérant par principe, il est incohérent par essence: Enn n’en est donc pas moins punk parce qu’il déteste le couple mais est amoureux ou haït la famille tout en vénérant son père. Leçon 2: Etre complètement givréA la question “la forme doit-elle être en adéquation avec le fond?” ou, si vous demandez à l’examinateur de reformuler, “le metteur en scène doit-il se mettre au diapason de son sujet?” Mitchell répond oui, quitte à être recalé (ce qui fut manifestement le cas puisque son film était resté dans les limbes depuis sa projection cannoise en 2017) pour avoir filmé une comédie, un drame romantique, un récit d’anticipation et une fable fantastique partousant avec entrain dans une improbable "After" New Age. Vous vous souvenez de ces fêtes où vous hésitiez à aller, de ces breuvages mystérieux que vous n’osiez consommer et de ces gens que vous aviez peur d’aborder? Vous vous souvenez combien ces expériences (au sens premier de protocole incertain visant à accéder à une vérité nouvelle) dont on ressort autre, ou davantage soi-même, si elles furent incontestablement terrifiantes, se révélèrent finalement être ce que la vie avait de mieux à offrir? Eh bien, d’une certaine manière, et même si l’âge venant on se souvient davantage qu’on ne découvre, HTTTGAP permet de renouer avec la magie paradoxale de ces premiers émois. Affiche kitchissime, début caméra à l’épaule qui s’accélère comme dans un mauvais clip: on a très peur de ne pas y arriver, de se dégonfler et d’aller se réfugier dans les jupes rassurantes d’une cinéphilie moins déviante. Mais ce film festif et mélancolique, romantique et trash, vintage et actuel, réaliste et barré, parfois insupportable et souvent bancal n’en n’est pas moins inoubliable. De même que La Soupe aux choux osait mettre de la SF dans le cinéma franchouillard, Mitchell fait fondre sur le No future une bonne couche d’anticipation et de bizarre. Et s’il fallait un certain courage pour défendre le film de Jean Girault (à moins que ce ne soit de la mauvaise foi ou de l’aveuglement, question de point de vue), il n’est pas évident non plus d’assumer sa fascination pour un univers à mi-chemin entre l’imaginaire de Philippe Decouflé période JO d’Alberville, les Teletubbies et une saison bonus "d’Alien et les garçons". Leçon 3: Garder la tête froide*Paradoxe ultime mais essentiel, HTTTGAP n’est ni un film régressif ni un faux film de jeune. Mitchell fait sienne la devise de Nicole Kidman[SPOILER!], “évoluer ou mourir”, et nous rappelle que le cinéma ne devient de l’art que s’il cesse d’être une copie pour devenir une projection subjective et différée (sinon, n’est-ce pas, il y a BFM TV). En ce sens, il serait peut-être plus juste de parler de film dada que de film punk: barré mais censé, son icônoclasme stylistique est aussi délibéré que maîtrisé et c’est bien ce qui le rend poétique. Ceux qui pensent qu’il faut être sous acide pour apprécier le film devraient se mettre à l’eau plate sous peine de faire un "very bad trip". Car passer d’un délire SF à une comédie romantique sur fond de réalisme social implique d’avoir le cœur bien accroché. Mais c’est le prix à payer pour découvrir que l’utopie, aussi téméraire que lâche, offre et réclame à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que la réalité. C’est plus délire de draguer des meufs azimutées en soirée mais il faut davantage de cran pour leur présenter sa mère, sa chambre… et ses WC. Qu’y a t-il de vraiment essentiel à retenir de notre folle jeunesse si ce n’est que renoncer n’est pas forcément trahir et que le conformisme peut se révéler être la forme suprême de la dissidence. Evidemment, cette relation platonique et inquiétante fait rire les copains, mais elle est d’autant plus exceptionnelle et improbable qu’elle est familière, comme si tout d’un coup on pouvait vivre dans un joli livre d’images qu’on aurait pourtant d’instinct bazardé au fin fond du grenier. Et non, elle ne le plaque pas pour sa planète chelou comme n’importe quelle californienne prétentieuse, mais lui révèle au contraire qu’aimer vraiment c’est aimer ce qui est bon pour l’autre, même si cela nous fait souffrir, et le laisser libre de partir quoi qu’il nous en coûte. Si le film évoque le passage à l’âge adulte c’est bien davantage par ce biais que par les diverses provocations trash qu’il met en scène avec un mauvais goût chargé d’ironie et de scepticisme. Barré mais censé on vous a dit. Leçon 4: Aérer pour renouveler l’ère du sex, drug and revolution HHTTGAP est donc un film punk réalisé par un punk qui ne l’est plus. Mais on aurait tort de le regarder comme un délire nostalgique ou une volte-face en forme de mea culpa grinçant. Même s’il parvient admirablement, au début surtout, à rendre compte de l’esprit du lieu et du moment, son intention est toute autre: en convoquant des éléments génériques et temporels qui tournent radicalement le dos au documentaire, Mitchell livre une réflexion ambitieuse sur les rapports entre hégémonie culturelle, dissidence et liberté. Les déboires amoureux et sexuels de Vic proposent par exemple une hypothèse historique pour le moins déroutante: et si en 1977, année du jubilé de la reine, le queer avait fisté le punk? La satire de la vieille Angleterre des années 70 devient alors un moyen de dénoncer celle du Brexit, où les gens préfèrent pratiquer un entre soi rassurant plutôt que de se mélanger. La question n’est pas de choisir son camp entre les réactionnaires et les révolutionnaires mais de décider si l’on appartient à la catégorie des moutons ou à celle des hommes libres. La bonne idée de la métaphore futuriste de la société traditionnaliste est de renvoyer dos à dos les anciens et les modernes. Car ce qui semble encore plus punk que le punk se révèle être plus réactionnaire que la société victorienne (d’où la contre contre-révolution menée par Nicole Kidman): les colonies du sexe, de la force, de la lumière, de la voix et de l’esprit évoquent bien des fascismes passés, présents et futurs. La leçon, un peu fleur bleue certes, est néanmoins fort jolie: ce qui est vraiment punk, ce qui permet de s’affranchir de toute forme de grégarisme et de dictature de la pensée c’est l’amour. L’amour qui, depuis le mythe d’Aristophane, est synonyme d’ouverture à la différence et de mise en danger. La conclusion proposée à la toute fin, à travers le retour des enfants dont la mère avait pourtant fui le vrai monde, est plus subtile. Non, ce n’était pas mieux avant et non ce ne sera pas mieux après. C’est à chacun d’avoir la force de décider ce qui est le mieux pour lui. Heureusement que c’est le bordel à l’écran sinon on aurait presque trouvé ça pontifiant.
0 Commentaires
Votre commentaire sera affiché après son approbation.
Laisser un réponse. |
sorties
découvrez les films en avant-première, ainsi que les sorties récentes à ne pas rater selon mon humble avis (mais vous faites ce que vous voulez). Archives
Janvier 2023
Catégories
Tous
|