Cette semaine, Sophie revient sur la sortie française la plus attendue de ce début d'année: l'adaptation par Emmanuel Finkiel du roman de Marguetite Duras "La douleur". Alors ce film: sublime, forcément sublime? la douleur, un ratage particulièrement réussiun ratage particulièrement réussi Je suis allée voir La Douleur avec l’intime conviction de la déception. Ne pas y aller était pourtant impensable, impardonnable même, comme s’il y avait une sorte d’obligation, de devoir à ce que rien de ce qui touche de près ou de loin à Duras et à son œuvre ne me demeure étranger. Sans doute les choses sont elles plus simples pour les spectateurs qui découvrent à travers le film de Finkiel l’œuvre et l’auteure qui en sont à l’origine… L’adaptation est de fait un exercice bien périlleux: celui qui colle au texte disparaît en tant que réalisateur tandis que celui qui s’en éloigne trop trahit ce à quoi il a cherché à rendre hommage. De 45 à 85, de Marguerite à Mélanie: entre fausse souffrance et vraie douleur Premier plan : un petit ange blond, tout en délicatesse et en fragilité, sur le point de rendre les armes. Un choix pour le moins surprenant lorsqu’on sait que Duras était une brune démoniaque au cœur dur comme les pierres de l’Hôtel des Roches Noires où elle vivait cloitrée dans un mépris buté du monde et des autres. Second plan: Paris occupé, décor de carton pâte vu et revu au point que les atrocités de ce temps là nous sembleraient désormais presque aller de soi. Le cinéma a sans doute sa part de responsabilité (tout comme les programmes scolaires…) dans cette banalisation de l’horreur : à force d’avoir trop été mise en scène, trop vue, elle est presque devenue invisible. L’intelligence de Finkiel est de ne pas s’appesantir sur ce contexte qui lui tient pourtant à cœur: les évènements vécus par Duras et consignés dans Les Cahiers de guerre ne sont qu’un arrière plan, un bruit de fond, une petite musique lancinante qui crée une atmosphère de honte, de peur et d’horreur. La Douleur parait en 1985, plus de 40 ans après la rédaction ces Cahiers que Duras avait soit disant oublié au fond d’une armoire. En attendant le retour de Robert Antelme, elle a eu besoin d’écrire ce texte, pas de le publier. Elle était à l’aube de sa carrière d’écrivain, à l’aube de sa vie aussi, trop occupée à vouloir tout obtenir et tout dominer, les hommes, le monde littéraire, la vie politique. Pendant 40 ans elle a usé et abusé du pouvoir que lui conférait sa beauté et son talent, détruisant tout sur son passage. Et puis, il n’y a plus eu qu’elle même à détruire. Alors seulement le remords et la culpabilité ont pris forme et elle a cessé de raconter encore et encore sa propre histoire, celle de la pute de Saigon ou de la côte normande qui ne connaissait pas la honte mais seulement l’arrogance et le mépris. La Menthe religieuse a cherché in extremis à se libérer de ses péchés et à écrire comme on fait son mea culpa: pardon maman, pardon Robert, pardon Yann, pardon à tous ceux que j’ai séduits ou aimés puis méprisés et abandonnés. Mélanie Thierry, bien qu’elle n’ait rien de Duras, correspond sans doute à l’image que l’écrivain aurait voulu laisser d’elle: pas du tout la Jeanne Moreau de Cet amour-là qui lui ressemble bien trop, pas celle qui a fait souffrir mais celle qui a souffert, pas la blessante mais la blessée. Mélanie Thierry incarne parfaitement la mauvaise foi et la culpabilité refoulée de ce petit monstre génial qui au dernier moment a voulu se refaire une virginité, cesser d’être surhumaine et inhumaine pour redevenir simplement humaine .En cela le film de Finkiel est une grande réussite: il n’adapte pas un texte mais un sous- texte, pas une histoire mais la manière dont Duras a voulu la raconter et la recréer. Mélanie Thierry est à l’image de cette âme errante en quête de pardon: perdue dans les rues, à la limite du délire, elle cherche à la manière de Lol V. Stein quelqu’un pour la sauver. On comprend que ce sera un homme, ou plutôt le plaisir de séduire un homme, qui la tiendra en vie. Ce sera un flic collabo qui donnera à cette femme de déporté l’envie de porter des pulls moulants rouges, de se farder, de s’enivrer et de rire. Finkiel filme ça puis bien vite il n’y a plus rien ni personne, seulement du flou, des ombres, des taches. C’est cela La Douleur: la honte de n’avoir pas vraiment souffert, la difficulté à se persuader du contraire et l’inconfort du dédoublement qui s’en suit. Car même avec la pire des mauvaise foi, même en estompant les contours et en arrondissant les angles, c’est un peu compliqué de transformer une pute en sainte. De la difficulté de filmer l’indicible souffrance tapie entre les lignes Alors oui Emmanuel Finkiel est fidèle à la lettre et à l’esprit de La Douleur, à cette voix blanche qui peine à admettre, à confesser. La voix-off est peut-être d’ailleurs ce qu’il y a de plus réussi dans le film.Mais à force de convoquer des passages entiers de l’œuvre on finit par se demander si on ne ferait pas mieux de la (re)lire ou d’écouter quelque bon orateur la réciter. Une adaptation cinématographique ne devrait pas, à mon sens, être une relecture mais la recherche d’une manière de filmer capable de rendre compte d’une manière de dire.Alors bien sûr il y a quelques idées: le dédoublement, le flou, les silences… mais ces procédés, aussi intéressants soient-ils, deviennent vite systématiques: cette manière de filmer la douleur n’est pas dépourvue de lourdeur… De la souffrance: de l’égotisme à la compassion De la douleur il y en a pourtant dans le film, partout, tout le temps, presque trop. Et encore Finkiel a eu la bonne idée de nous épargner celles de la convalescence de Robert, qui auraient été forcément pathétiques alors même que Duras les avait consignées avec le détachement et la sécheresse que l’on peut adopter pour rédiger une liste de courses. Il y a la souffrance des déportés bien sûr, celle des familles aussi. Mais il y a également celle des collabos, nantis d’un jour qui commencent à avoir des sueurs froides en sentant le vent tourner, celle du flic amoureux, passionné de littérature, qui a faux sur toute la ligne. Et puis celle de Dionys, jaloux de Rabier, de Robert et de la souffrance de Marguerite. Bref tout le monde souffre, il faut dire que la période s’y prête. Mais ça, Duras n’en a sans doute jamais eu vraiment conscience, trop occupée à se complaire dans une douleur egocentrique qui n’était qu’une culpabilité refoulée. Le film a le mérite de rendre justice à ceux que Duras a torturé sans se l’avouer vraiment. Benoit Magimel incarne magnifiquement cette souffrance là: il n’y a pas un de ses gestes, pas une de ses expressions qui ne dise la douleur muette que génère le mépris. Mascolo s’en sort mieux parce qu'il sait à qui il a à faire et utilise son humanité pour démontrer à l’inhumaine qu’il lui est infiniment supérieur. Servie par la morgue élégante de Benjamin Biolay, la démonstration est particulièrement convaincante. Mais tout cela reste au second plan, comme dans le texte de Duras, dissimulé derrière l’angoisse de celle qui se ronge les sangs à tenter de rejouer le passé. La chair de poule sur une nuque frêle, les ongles rongées, les cigarettes fumées à un rythme effréné disent la panique devant l’irréparable. Là encore on trouve l’idée pertinente au début et puis on se lasse peu à peu. La Douleur est donc à mon sens une belle proposition littéraire mais pas un objet cinématographique très intéressant. Il faut dire qu’en choisissant d’adapter l’inadaptable Finkiel risquait forcément de souffrir quelques déconvenues…
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