par Sophie Louge le film était presque (trop) parfait Le dernier film de Philippe Garrel est impressionnant de beauté et de maîtrise. Mais cette impression est éphémère. Inexplicablement, sitôt la projection finie, L’Amant d’un jour s’éclipse sans laisser de traces: le millésime 2017 du petit prince de la Nouvelle Vague manque de longueur en bouche. Nous avons cherché à comprendre pourquoi. de la beauté Comme aux grandes heures du cinéma militant ou expérimental, L’Amant d’un jour est avant tout un manifeste esthétique. Premier plan, le noir et blanc format cinémascope, un peu charbonneux, rappelle les si beaux éclairages de Raoul Coutard: c’est tout simplement somptueux. Second plan, l’art du cadrage et du montage nous affranchit des lourdeurs narratives : nous sommes comme en apesanteur. Les cris de jouissance d’une étudiante délurée laissent place aux sanglots de douleur d’une amoureuse éplorée et les gros plans de ces visages oubliés des maquilleuses, dont l’expression dépasse la parole, contiennent déjà tout le film. Le début, la fin et toutes les étapes intermédiaires viennent saluer le spectateur en guise de prologue. Garrel sait faire du cinéma, on ne pourra pas lui ôter ça. Ces premières images donnent l’illusion d’avoir mis la main sur un Godard inédit qui se serait perdu quelque part vers la fin des années soixante. Esther Garrel a des airs d’Anna Karina dans Bande à Part et les taches de rousseur d’Ariane évoquent irrésistiblement celles d’Isabelle Huppert dans Sauve qui peut la vie. Évidemment on mord dans cette petite madeleine avec délices de l'amour Ces deux femmes, une grande rousse à la sensualité féline et une petite brunette à la timidité enfantine, vont se trouver réunies dans le même appartement. Le maître des lieux est l’amant de l’une et le père de l’autre, bien qu’elles aient sensiblement le même âge. Mais il ne sera pas le maître du jeu. Un peu comme chez Eustache, l’homme n’a de courage que sa lâcheté et laisse la vie, ou plutôt les femmes, décider pour lui. La révolution sexuelle a eu lieu, le féminisme a fait ses preuves (du moins Garrel le croit-il) et l’âge aidant, notre héros-philosophe (double du cinéaste évidemment) en perd ses concepts. Il est fasciné autant que dépassé par la jeunesse de ces deux femmes, par la radicalité de leurs émotions, par leur mélange de fragilité et de cruauté. Cette fureur de vivre ou de mourir le dépasse, lui qui ne pense qu’à survivre le moins mal possible. C’est joli mais tout de même un peu rebattu. Ce trio est pourtant inédit au sens où il est à la fois amoureux, affectif et filial. Comme Jean-Claude Carrière a collaboré au scénario (est-ce la meilleure idée pour un cinéaste qui se dit en quête de légèreté?) on devine qu’œdipe et Elèctre vont rappliquer dare-dare. Gagné: aussi désespérée soit-elle, Jeanne reste avant tout la fille de Serge et va inconsciemment chercher à évincer la marâtre, même si Ariane est d’emblée devenue une confidente et une complice toujours aux petits soins. Ariane qui jouit deviendra Ariane qui pleure, fatalement, car la tragédie grecque plane au dessus de la bluette. Il y a incontestablement beaucoup de finesse dans la manière dont Garrel met en scène les glissements progressifs du plaisir à la souffrance, de l’amour à l’indifférence, de l’illusion à la réalité. Le trio se veut subversif et s’imagine capable d’échapper aux écueils habituels de l’amour en faisant fi des différences d’âge, des infidélités et des jalousies mais sera bien entendu rattrapé par la réalité des cœurs et des corps. Morale de l’histoire, plutôt immorale: celui qui donne ce qu’il n’a pas perd le peu qu’il possède. Il n’y a pas de place pour deux jeunes filles dans cet appartement, car l’amour et l’infidélité, pas plus que la jeunesse et le temps qui passe, ne sont solubles dans l’anticonformisme et le culte de la liberté. La voix-off, un peu anachronique, donne à cette petite mécanique bien huilée un ton très littéraire dont le charme et la maestria ne sont pas sans évoquer les contes rohmériens. Jeux de miroirs, renversement des rôles et croisement des destins sont minutieusement chorégraphiés. Rien n’est laissé au hasard, tout est orchestré avec une méticulosité d’orfèvre. Comme une boîte à musique parfaitement réglée, le film déroule l’éternelle ritournelle des désillusions amoureuses et idéologiques, la sempiternelle victoire de la pulsion et de l’instinct sur le sentiment et la raison. Jeanne si pure, reconnaissante et aimante, va se révéler être un monstre d’égoïsme. Elle n’hésitera pas à abandonner son père, après avoir sacrifié le couple qu’il forme avec Ariane pour vivre par procuration des fantasmes qu’elle n’a pas le courage d’assumer, avant de réaliser que l’idéal amoureux qu’elle poursuit n’est que le masque d’un confort affectif qui sent la naphtaline et la pleutrerie. Amazone sans scrupules et "donjuane" émancipée, Ariane tisse quant à elle un fil dans lequel les hommes se prennent la patte mais qui n’est en réalité que la corde qui se resserre autour de son propre cou. de la vie (et de l'idéologie) Ce charmant marivaudage philosophique est pourtant bien désincarné. Les petites figurines qui virevoltent sur les boîtes à musique n’ont pas d’âme et les personnages de Garrel bien peu de psychologie. Le film a été tourné en trois semaines, l’essentiel du travail s’est fait en amont, sur les planches d’un théâtre, et ça se sent. Les acteurs jouent très juste mais ils restent des rôles, des personnages de papier ou de pellicule, jamais vraiment des êtres de chair. Qui sont-ils? Un prof de fac vieillissant qui couche avec son élève pour exorciser sa peur du déclin, tolérant les infidélités par peur de la perdre, et deux jeunes femmes, l’une nymphomane, l’autre romantique, chez qui le désir sexuel et filial se mêlent encore. C’est un peu court (pour ne pas dire caricatural voire stéréotypé) pour qu’on s’émeuve réellement des émotions de ces trois là : n’est pas Rohmer qui veut. L’erreur de Garrel est d’ailleurs sans doute d’avoir voulu être Rohmer et Godard à la fois, d’explorer l’inconscient féminin et les méandres du triangle amoureux tout en théorisant sur le féminisme ou la guerre. Sans compter que les dites théories sont bien peu progressistes: la condamnation du libertinage ou l’apologie de la guerre d’Algérie, ce n’est résolument pas très Nouvelle Vague. de la nouvelle vague Bien plus que les deux précédents opus de cette trilogie (puisque parait–il s’en est une même si, mis à part certaines concessions faites à un cinéma plus “traditionnel”, il semble difficile de percevoir une réelle rupture dans le cinéma de Garrel…) L’Amant d’un jour revendique très explicitement l’héritage de la Nouvelle Vague. Mais quel est l’enjeu véritable d’une telle démarche? Écrire “plus jamais ça” sur un miroir avec un bâton de rouge, faire dire à ses actrices: “papa c’est quoi la fidélité?” ou “les hommes trompent sans préavis donc la seule solution c’est de faire pareil”, déplorer que l’amour physique soit toujours sans issue et la guerre inéluctable n’a plus grand chose de dérangeant ou de novateur aujourd’hui. Filmer Paris la nuit, les rues désertes comme il n’y en a plus, les chaises tressées des cafés l’après-midi, les amphis sales, les queues de cheval des jeunes filles en fleur, quel sens cela peut-il encore avoir? Cette nostalgie d’ex-fan des seventies ne manque certes pas de charme mais incontestablement de nécessité. A quoi bon refaire ce qui a déjà été (y compris par Garrel) si bien fait auparavant? Si la Nouvelle Vague a un héritage il ne peut pas être dans la redite. C’est donc précisément parce que nous l’aimons plus que tout que nous ne pouvons totalement souscrire à ce que propose L’Amant d’un jour. L'AMANT D'UN JOUR de Philippe Garrel, avec Eric Caravaca, Esther Garrel, Louise Chevillotte France / 2017 / 1h16 SORTIE LE 31 MAI 2017
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