Par Sophie Louge Quelques jours plus tôt... Un film avec Reda Kateb sort en salle, mon sang de midinette attardée ne fait qu’un tour: je fonce. Le petit bonhomme de Télérama a beau faire la gueule, j’irai coûte que coûte. Et puis forcément la bande-son sera formidable, ce qui ne gâche rien. En cinéphile consciencieuse (ou en groupie incorrigible je ne sais) je regarde quelques interviews de mon idole avant la séance. Intelligent, juste, sincère et généreux comme à son habitude, il décrit admirablement l’immersion dans le rôle, la découverte d’un homme et d’un univers, le plaisir de se les approprier pour mieux nous les faire aimer, l’envie de changer notre regard sur ce qui nous est étranger, de nous interroger sur l’aversion, la fascination ou l’indifférence que nous inspire l’inconnu. Mais surtout il pose avec beaucoup de clairvoyance la question de l’engagement de l’artiste qui fut celle de Django Reinhardt et qui est également la sienne: la création constitue-t-elle un acte militant en soi, est-elle suffisante? la prise de parti explicite est-elle alors nécessaire ou bien devient-elle superfétatoire voire parasite? (question passionnante qui avait déjà été abordée récemment, sans réel succès à mon sens, par le Stephan Zweig de Maria Schrader) Ça y est, l’envie de voir le film est à son comble, je suis déjà sur le palier. une fois dans la salle Sauf que ce que dit Reda Kateb du film est bien plus convaincant que le film lui même. Évidemment, la performance d’acteur est impressionnante. On savait l’animal doué, on le découvre grandiose. Il ne joue pas Django, il est Django dès les premières images. Là où le bas blesse c’est que cet homme auquel il redonne vie n’est pas un personnage. Il est juste ce qu’on sait de lui, comme dans un documentaire, sans zone d’ombre, sans contradiction ni mystère. L’idée de départ était pourtant ambitieuse et intrigante: le film se concentre uniquement sur les quelques mois où Django, ayant fuit Paris pour éviter une tournée à Berlin, attend à Thonon de pouvoir passer en Suisse. C’est un moment de crise, où celui dont la seule bataille était la musique et le plaisir le seul credo est bien forcé d’admettre que la guerre n’est plus “une chose de gadgé”. Dans ce huis clos en plein air, sorte de Désert des Tartares helvète, la vie d’un homme, sa passion pour la musique, ses hésitations entre fidélité sentimentale et arrivisme social se mêlent au destin d’un peuple et au cours de Histoire Le dilemme entre la fidélité et le besoin de reconnaissance, le désespoir et la foi indéfectible en la vie devraient créer une tension dramatique qui ne vient pas. Le scénario ferait sans doute un excellent roman mais pour faire un film (réussi) il faut mettre en scène le dit scenario, aussi génial soit-il. Et là, la mayonnaise ne prend pas. Tout ce qui est filmé a un air de déjà vu (mais ce n’est pas aussi drôle que chez les Monty Python): costumes d’époque, Nazis antipathiques, femmes fatales interlopes, résistants intrépides, collaborateurs cupides… Dès les premières gorgées on a déjà vaguement la nausée. On a un peu honte de s’ennuyer parce que c’est indéniablement intéressant et rudement bien ficelé mais on s’ennuie quand même. quelques heures plus tard On cherche à comprendre: pourquoi c’est juste sympathique alors que ça aurait pu être génial. Notre cerveau essaye de nous amadouer: c’est une réflexion passionnante, une construction narrative formidable. Mais les yeux font grise mine: ils n’ont rien vu ou plutôt rien ne les a attirés, dérangés, surpris ou fascinés. Histoire de départager les belligérants, on retourne faire un tour sur internet. Pas de demi mesure: la critique encense ou démolit. Et ça c’est drôlement intéressant: le plus grand mérite de Comar est d’avoir (malgré lui) posé la question de ce qu’on attend d’un film en général et d’un biopic en particulier. Nous revoilà confrontés à l’éternel dilemme entre le fond et la forme, le jeu des acteurs et la mise en scène. Dans ce domaine il semble y avoir eu récemment deux écoles cinématographiques, celle qui livre des informations s’opposant à celle qui les brouille et les déconstruit. Devant le Neruda de Pablo Laran on n’a rien appris. Le peu qu’on croyait savoir est devenu problématique, ambivalent et incertain. Après avoir vu Django en revanche on pourra briller en société en faisant un exposé très complet des quelques années pendant lesquelles le guitariste, alors au sommet de son art, a cherché à échapper au nazisme tout en défendant les siens et en prenant le temps de vivre, et de vivre en épicurien. Tout dépend peut-être si vous êtes plutôt du genre cinéphile salonard ou misanthrope dévoreur de pellicule, curieux en mal de culture générale ou incorrigible rêveur déraisonnablement porté sur l’introspection masturbatoire. Alors on ne regrettera pas d’y être allé, rien que parce que ça a donné du fil à retordre à nos méninges et boosté notre esprit critique. DJANGO réalisé par Etienne Comar, avec Reda Kateb, Cécile de France, Patrick Mille, Esther Comar, Beata Palya, Alex Brandemhül. France / 2017 / 117 mn Sorti le 26 avril 2017
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