Film en compétition Sélectionné à la Semaine de la critique du Festival de Cannes 2020 Par Hyppolyte Büro Virginie, agricultrice, veuve et mère de deux ados, tente de faire vivre sa ferme en réorientant son exploitation de l'élevage de chèvres à celui d'insectes pour le marché des farines animales, un marché d'avenir dans le contexte de la crise agricole mondiale. Mais la tâche est rude, sa production, axée sur la qualité, ne produit pas assez pour être rentable. Dos au mur, dans un geste de désespoir, elle va franchir un pas fatal en dopant ses sauterelles avec un aliment tabou, qui va entrainer des conséquences dévastatrices pour elle, sa famille, et peut-être le monde. A la lecture des lignes qui précèdent, on pourrait douter de la pertinence de faire concourir à un festival de films fantastiques une œuvre qui s'apparente davantage à un drame social. Ce serait une erreur. En effet, si "La nuée" revêt les habits d'un film réaliste, dans la lignée des drames ruraux qui font florès depuis quelques année en France ( Comme les très bons Petit paysan et Au nom de la terre, pour n'en citer que quelques uns), et que sa dimension fantastique n'apparaisse vraiment que dans le dernier tiers du film, il s'apparente en réalité au nouveau courant d'un certain cinéma de genre "made in France", propulsé sur le devant de la scène depuis le succès critique et public de "Grave", un cinéma qui s'ancre dans le quotidien le plus prosaïque pour mieux en faire ressortir la part surnaturelle, généralement sous un forme métaphorique subsumant un message politique ou social, et surtout sans essayer de copier le cinéma américain sur ce terrain (une entreprise vouée à l'échec, tant nos modes de productions diffèrent). Car le sujet du film, c'est avant tout celui d'une femme qui fait front face à l'adversité, et va faire les pires choix pour les meilleurs raisons du monde: subvenir aux besoins de sa famille, prouver qu'une femme seule peut tenir son rang dans un milieu particulièrement machiste, quitte à mettre en danger sa santé (physique et mentale), et celle des autres. Une femme qui va littéralement se saigner aux quatre veines pour arriver à ses fins. Quant aux sauterelles, l'élément surnaturel du film, elles symbolisent aussi bien l'aliénation d'un monde paysan pris dans ses contradictions, entre nécessité de production toujours croissante et aspiration à une agriculture écologiquement responsable, une équation schizophrénique impossible à tenir, qui en a plongé plus d'un dans le désespoir voire le suicide, que la crise du changement climatique induite par l'Homme, et de ses conséquences destructrices. De l'aveu des auteurs eux-mêmes, "La nuée" est davantage un film catastrophe qu'un film fantastique à proprement parler (à l'instar de Take Shelter, que le réalisateur Just Philppot revendique comme seule source d'inspiration pour sa mise en scène), mais on pourrait tout aussi bien le situer quelque part entre "la petite boutique des horreurs" et le conte du joueur de flûte d'Hamelin. Si le film est une réussite (car c'en est une!), elle tient donc d'abord à cette volonté de réalisme. Le temps passé à établir la psychologie des personnages, leurs relations à l'intérieur du noyau familial, leurs interactions avec l'extérieur, les difficultés du monde du travail, tout sonne juste sans jamais avoir recours à des scènes d'expositions pataudes ou artificielles. Les personnages vivent, souffrent et doutent; le mérite en revient autant aux co-scénaristes qu'au réalisateur, qui ont pris le temps de s'imprégner de la réalité du monde paysan contemporain. Cette réussite, elle tient aussi évidemment au travail remarquable des comédiens, particulièrement investis dans leurs rôles, que ce soient la formidable Suliane Brahim de la comédie Française déjà repérée dans l'intéressante série "Zone blanche", qui insuffle à Virginie son énergie et ses failles, Sofian Khammes dans le rôle de Karim, le voisin viticulteur secrètement amoureux de Virginie, en butte au racisme des locaux (la voix de la raison dans cette histoire de fou), ou les enfants incarnés par Marie Narbonne et Raphael Romand, et Dieu sait à quel point il est difficile de diriger des enfants (en l'occurrence des ados et pré-ados) sans les faire sonner faux! Autre point fort, les effets spéciaux, souvent le maillon faible des films de genre français, qui peuvent réduire à néant tous les efforts d'une équipe motivée et talentueuse. Conçus par un maitre en la matière, Antoine Moulineau, qui a travaillé sur des blockbusters américains comme Avatar ou The dark Knight, ils ont l'intelligence de se faire les plus discret possibles. Les CGI sont réduits à la portion congrue, n'intervenant que lorsqu'ils ont indispensable à l'intrigue. Pour le reste, l'équipe à recours à des maquillages directement filmés sur le plateau et surtout, à de vrais insectes (bon, à la nuance près qu'il s'agit de criquets migrateurs plutôt que des sauterelles), mais on salue le courage des acteurs qui ont accepté de se faire "dévorer" par la septième plaie d'Egypte! Initialement programmé pour sortir le 13 novembre, puis repoussé en janvier 2021, mais porté à bout de bras par le joint-venture de production & de distribution The Jokers, Capricci & les Bookmakers, qui font un travail formidable pour promouvoir le film de genre français et étranger sur nos écrans, et se battent pour que le film existe malgré tout, il est impossible de savoir si "La nuée" bénéficiera finalement d'une sortie en salle, au vu de l'embouteillage prévu le jour où les salles rouvriront, mais si c'est le cas, foncez apporter votre soutien au cinéma de genre français en achetant votre ticket, pour éviter que les sauterelles des plateformes de VOD ne ravagent définitivement le paysage cinématographique mondial... LA NUEE réalisé par Just Philippot, scénario de Jérome Génevray & Franck Victor avec Suliane Brahim, Sofiane Khammes, Marie Narbonne, Raphael RomanD France/2021H40
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