En attendant la suite des critiques consacrées au PIFFF, voici un chronique expresse consacrée à un récent coup de cœur sorti le 27 décembre dernier. Shula, 9 ans, est accusée de sorcellerie par les habitants de son village et envoyée dans un camp de sorcières. Entourée de femmes bienveillantes, condamnées comme elle par la superstition des hommes, la fillette se croit frappée d’un sortilège : si elle s’enfuit, elle sera maudite et se transformera en chèvre... Mais la petite Shula préfèrera-t-elle vivre prisonnière comme une sorcière ou libre comme une chèvre? Voilà typiquement le genre de film dont on se dit à la lecture du pitch qu'on peut en prévoir les tenants et aboutissants avant d'en avoir vu la première image: un sujet sociétal traité de façon naturaliste susceptible de séduire un public occidental friand d’exotisme; un film africain qui parle de sorcellerie, quoi de mieux pour nous conforter dans notre vision paternaliste d'un continent "oublié de l'histoire"? Et bien on aurait tort, et c'est tant mieux. Si I'm not a witch s'attaque frontalement au problème des enfants ostracisés dans les sociétés africaines accusés de sorcelleries, il le fait d'une façon totalement originale, en ce sens qu'il opte pour une mise en scène à la fois distanciée et sobre, exempte de toute trace de pathos, et qui l'élève immédiatement au niveau des plus grands films de Robert Bresson, Pier Paulo Pasolini et Akira Kurosawa. Yep, un vrai Grand Écart Facial. De Bresson, la jeune et très talentueuse réalisatrice Rungano Nyoni (qui avoue s'être inspirée de "la chèvre de Monsieur Séguin" pour son scénario) retient la mise en distance, le mutisme, l'attachement aux gestes qui trahissent les tourments intérieurs, ainsi qu'une certaine vision de la fatalité teintée de mysticisme chrétien qu'on peut retrouver dans Au hasard Balthasar; de Pasolini la critique sociale par le prisme d'une mise en scène magnifiant les gens de peu, exacerbant la violence des rapports sociaux par la poésie des cadrages et la pureté des décors, mettant en avant des acteurs non-professionnels parlant leur propre langue, alliant magnifiquement le vernaculaire à l'universel; Enfin de Kurosawa une inventivité visuelle (les bobines de toiles longues de centaines de mètres qui relient les sorcières entre elles) et un sens des couleurs (pendant les scènes de conseils, où les rouges et bleus se combattent dans une virtuosité symbolique hallucinante) que je n'avais pas vu depuis Ran, ce qui n'est pas peu dire. Porté à bout de bras par l'interprétation de la jeune Margaret Mulubwa, castée par hasard pendant les repérages en Zambie, ce film dur et âpre mérite qu'on s'y attarde autant pour son sujet, le traitement qu'il en fait et pour son auteur, non seulement une artiste à suivre mais une révélation. I'M NOT A WITCH réalisé par Rungano Nyoni avec Maggie Mulubwa, Henry BJ Phiri, Nancy Mulilo Zambie/GB/France 95MN
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