Nope, on ne parle pas du barbant film éponyme de Kiyoshi Kurosawa sorti cet été, mais d'un film iranien présenté à l'Etrange Festival qui aura la chance de connaitre une sortie française. Bouclez vos ceintures, parce que vous partez pour un Grand- Huit cinématographique. Attention y aura du spoil…. l'histoire sans fin...Dans un futur dystopique, la lumière du soleil a disparu, plongeant le monde dans une perpétuelle ténèbre; des murs furent érigés pour protéger les derniers îlots de civilisation des assauts de la barbarie, tandis que d'étranges maladies se propagent mystérieusement, tuant aveuglement, obscurément, implacablement. Dans ce climat de fin du monde, Ali, accusé du meurtre de son ami Saman, est confronté à ses accusateurs lors d'une reconstitution qui va rassembler policiers et témoins dans le stade où a eu lieu le crime. La reconstitution commence, se déroule, s'achève, puis déraille, recommence encore, et encore, et encore, tandis qu'Ali passe du rôle de suspect à celui de complice, puis d'observateur de son crime et qu'un autre endosse sa peau...Littéralement, tandis que le motif devient de plus en plus trouble. huis clos et boucle de MoebiusLe résumé ci-dessus vous apparait abscons? Bienvenu dans l'univers de Sharam Mokri, la nouvelle étoile montante du cinéma iranien, bien moins influencé par les œuvres de ses compatriotes (en tout cas en terme de cinéma, parce qu'en terme de littérature il se réfère constamment tant aux grands poètes iraniens qu'aux spectacles traditionnels de son pays, comme il l'explique lui-même dans le dossier de presse: "La raison d’être de ce film, c’est que l’idée de départ est venue d’un spectacle traditionnel en Iran appelé le Ta’zieh. C’est quelque chose d’ancestral, qui existe depuis toujours en Iran. C’est la reconstitution d’une scène de meurtre, une scène religieuse ancienne qu’on reconstitue tous les ans. Cela se joue un peu partout, dans toutes les villes et villages iraniens. C’est un véritable jeu de rôle, pour revivre cette scène originelle, les participants se distribuent les personnages. Ils jouent la même scène, disent un texte qu’ils peuvent modifier. La réflexion qui m’a donné envie de faire le film était : est-ce que le fait de reconstituer cette scène fait qu’on développe la violence ? On la développe ou on ne fait qu’une reconstitution ?"), que par celles de Gus Van Sant, David Lynch et MC Escher. Creusant le sillon entamé avec son précédent opus Fish and cat, Mokri construit son film en suivant deux axes narratifs complémentaires: le plan-séquence et la boucle temporelle. En effet, Invasion n'est constitué que d'un seul plan-séquence, rendu possible par l'utilisation des caméras numériques, dans le but apparent de suivre en temps réel l'action en respectant les règles du théâtre classique: unité de temps (une nuit), unité de lieu (le stade), et unité d'action (l'enquête policière). Sauf qu'il pervertit ce système à première vue simpliste en y introduisant d'infimes variations par le biais du deuxième axe, la boucle temporelle, dans laquelle le point de vue du spectateur change à mesure que l'identité du suspect varie et fait basculer le thriller en drame amoureux métaphysique, sans que l'on sache de manière certaine ou s'arrête l'objectivité et ou commence le fantasme. Vampirisme et sexualité interditeCar ce que raconte Mokri, n'est rien d'autre qu'une histoire d'amour impossible entre Ali et Saman. Saman est malade, Saman a basculé dans les ténèbres, et ses compagnons vont se sacrifier pour tenter de le sauver, jusqu'à commettre l'irréparable. La métaphore vampirique qui caractérise Saman et son alter ego / sœur, dans un jeu à première vue pervers, est une allégorie transparente des contradictions morales et religieuses dans laquelle se débat la bouillonnante société iranienne. Et c'est là que Mokri atteint sa cible: en costumant ses acteurs en cosplay d'Indochine, en faisant surgir le personnage de la sœur perverse et possible vecteur de la malédiction de Saman, un spectateur occidental mal informé pourrait analyser le film comme un pamphlet homophobe quand il s'agit en fait exactement de l'inverse. L'amour sauvera (peut-être) le mondeQue ce soit par la multiplication des panneaux dispersés dans les entrailles du stade interdisant la mixité, la complicité des personnages masculins androgynes ou l'ambiguïté sexuelle et morale de la sœur de Saman, l'utilisation des poèmes qu'ils échangent, le sous-texte de Mokri est limpide: l'Amour est trompeur, douloureux, mais sauvera le monde, s'il transcende les genres, les conformismes sociétaux et sexuels (un sacré tabou en Iran) en rompant la boucle infernale de l'Eternel retour. A cet égard, le plan de fin, paradoxalement triste et plein d'espoir, seul plan de coupe après 1h40 ininterrompues, est un indice évident des intentions de l'auteur. S'il n'est pas forcément le film le plus esthétiquement éblouissant de l'année, en dépit d'une utilisation des couleurs primaires (rouge, vert, bleu) étudiée en fonction des lieux et de l'évolution de l'histoire (la faute à son parti-pris "caméra sur l'épaule" justifié par son système de mise en scène), il n'en reste pas moins un des films les plus moralement beau de cette année, peut-être le plus étrange et certainement le plus original qui nous soit parvenu d'Iran depuis l'envoutant A girl walk home alone at night (qui n'est pas à strictement parler iranien puisque tourné aux Etats-Unis; néanmoins il est réalisé par Ana Lily Amirpour, britannique d'origine iranienne, l'action est censée se dérouler en Iran avec un casting intégralement iranien en langue farsi, et traitait également, comme dans le cas d'Invasion mais sous un mode féministe et "New wave" du thème du vampire ). A noter que son précédent film Fish and cat, inédit en France, sortira également le 6 Novembre. Distribué par Damned Distribution, Invasion sortira sur un très petit nombre de copies, alors si vous avez la chance d'habiter près d'un cinoche qui le programme, ne ratez pas la chance de vivre une expérience cinématographique unique! INVASION (Hojoom) De Sharam Mokri, avec Abel Abest, Elaheh Bakshi, Babak Karimi 2018/Iran/ 1h41 Sortie française: 24 octobre 2018 En bonus: le Q&A de Sharam Mokri lors de la présentation du film à l'Etrange Festival 2018... ...et un entretien avec la chaîne Récits de cinéma
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