splendeur et misère des provincialesIl y a des films qui ressemblent à ces vêtements, qu’on pense taillés pour nous quand on les regarde dans la vitrine, mais qui ne nous vont finalement pas du tout. Elle nous avait tant plu, la bande annonce de Mes Pronvinciales, elle convoquait le souvenirs de tant de films qui faisaient désormais partie de nos vies après en avoir changé le cours: la déception n’en fut que plus grande. Ce Civeyrac aurait pu être une surprise charmante si on n’en avait rien attendu. Oui mais voilà, avec un titre pareil, un tel sujet et un si beau noir et blanc, on ne pouvait s’empêcher d’attendre quelque chose. un beau roman? Etienne arrive à Paris, où il est persuadé que sa vie va vraiment commencer. Il ne boit encore que du jus de fruit (pas pour longtemps) mais est déjà ivre de cinéma et d’aventures. Certes quelque peu usé, l’argument de départ évoque les grands romans de formation et d’initiation, Stendhal ou Flaubert, un peu Balzac aussi. Des espoirs et des désillusions, des idéaux souillés et des rêves déchus, il y en a à foison dans le scenario de Civeyrac: la ville lumière, sensée éclairer des dons et des vocations encore assombris par le doute, brille dans les yeux de tous ces petits provinciaux. Niveau désillusions, ils ne sont pas non plus en reste: ruptures, trahisons, deuils et échecs sont leur quotidien . Alors pourquoi ne parviennent-ils pas à nous émouvoir? Sans doute parce que ce ne sont pas véritablement des héros de roman de formation. Car la formation impose la déformation, l’évolution, la contradiction, la trahison ou la métamorphose. Or, au bout d’ 2H20, Etienne croit toujours à la magie du cinéma, vit toujours à Paris, est toujours en couple (même si ce n’est plus avec la même jeune fille), et ne semble fâché ni avec ses parents ni avec ceux qui l’ont malmené ou trahi. Avec cet air de bel endormi, un peu mou tout de même, il traverse sa jeunesse sans y penser, avance là où le vent le porte sans jamais imaginer qu’il puisse avoir voix au chapitre. une romance d'aujourd'hui? Tout en s’inspirant de la sienne, Civeyrac a voulu filmer la jeunesse d’aujourd’hui, et il n’a pas raté son coup: même si son duffle-coat et sa coupe de cheveux qui n’en est pas une évoquent incontestablement une époque où la vie estudiantine était plus agitée, l’apathie et le fatalisme d’Etienne sont, bien davantage que son portable ou son ordinateur, témoins de l’air du temps. Nous, on aurait aimé qu’il hurle, après Nizan, “J’avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme: l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde”. Mais voilà, dans Mes Provinciales, on ne lit pas Nizan. On lui préfère Nerval ou Novalis, on se range du côté des rêveurs dont le génie sert à la fois d’expression et de compensation à l’échec et au renoncement. Nos jeunes héros mettent la charrue avant les bœufs: ils n’ont encore rien entrepris ni rien vécu mais se veulent déjà géniaux et maudits. Est-ce un signe de l’air du temps ou bien simplement la limite d’un procédé narratif consistant à regarder le temps de l’innocence avec le cynisme de la maturité? On ne sait pas trop et ça nous embête un peu. Car l’idée d’une jeunesse intemporelle a beau être séduisante, on ne voit pas trop comment elle peut ne pas devenir abstraite et désincarnée. Donnons une seconde chance à nos provinciaux. S’il n’ont rien de Rastignac ou de Frédéric Moreau, peut-être sont-ils les dignes héritiers de Pascal. Dans Les Provinciales, Pascal raconte à un ami lyonnais comment on vit à Paris, comment on y trahit avec un cynisme arrogant et pédant une morale et des idéaux qu’on fait pourtant mine de respecter, de défendre et d’imposer aux autres. C’est le principe de la grâce suffisante: si les intentions sont bonnes, les actes, quels qu’ils soient, ne peuvent être mauvais. Sophisme incontestablement confortable: je suis supérieur donc rien de ce que je fais ne peut ne pas l’être. Evidemment Pascal dénonce ce raisonnement de mauvaise foi qui, aussi brillant et séduisant soit-il, n’en est pas moins selon lui marqué du sceau de la bassesse et de la lâcheté. Nos cinéastes en herbe ont lu Les Provinciales (et nous le prouvent à grand renfort de citations) mais ne semblent pas partager l’indignation de Pascal. Ils y trouvent davantage un exemple à suivre faute de mieux qu’un appel à la révolte. Ils préfèrent vivre de concessions que souffrir d’intransigeance, alors même que c’est dans la souffrance qu’ils auraient pu se révéler à la hauteur de leurs ambitions. Plus pathétiques que tragiques, ils deviennent bien moins intéressants et bien moins émouvants. Ils n’ont pas de destin, juste des vies dont le récit tient davantage de la chronique que de l’épopée. On en revient à la question de la permanence et de l’évolution. Car souffrir c’est hésiter et hésiter c’est finir par choisir, donc abandonner une partie de soi, changer, mourir un peu pour rester vivant. Mais comment changer lorsqu’on ne parle et ne pense que par citations interposées, figé dans une certitude hypocrite qui peut être ébranlée mais ne se renie jamais? Des grands bavards désabusés il y en a de formidables chez Truffaut, Eustache ou Desplechin. Mais ils ne l’ont pas toujours été, bien qu’ils aient toujours semblés condamnés à le devenir. C’est parce que leur renoncement s’inscrit dans la durée et s’impose douloureusement à eux contre leur volonté qu’ils nous touchent. Alexandre (La Maman et la putain) quitte Marie et une certaine vie de bohème mais il lui faut près de 3h30 pour s’y résoudre. Antoine (L’Amour en fuite) ne croit finalement plus aux salades de l’amour mais leur a consacré sa jeunesse, un roman et 3 films. L’ellipse temporelle proposée par Civeyrac nous prive donc de ce qu’il y a de plus terrible mais également de plus beau dans la passage à la vie d’adulte: le combat perdu advance, mais pourtant livré avec passion, entre les rêves et la vie, le cinéma et la réalité. On aurait pu craindre que Civeyrac nous serve, un peu à la manière du Philippe Garrel des mauvais jours, une nouvelle Nouvelle Vague, un peu poussiéreuse et finalement aussi anachronique que vaine. C’eut été moindre mal. Car, si ses Provinciales nous ont déçu ,c’est aussi parce qu’elles n’échappent pas aux travers de leur époque, à cette fascination pour le “tiré d’une histoire vraie” qui place le cinéma quelque part entre le biopic et le documentaire, laissant bien peu de place à la magie. Le génie de la Nouvelle Vague consistait à traiter légèrement de sujets graves et gravement de sujets légers. Rien de tel ici: Etienne travaille pour la télé et ce n’est ni drôle ni pathétique, simplement alimentaire. On préférait voir Doisnel enthousiaste lorsqu’il teignait des roses en rouge et désespéré lorsqu’il pilotait des petits bateaux téléguidés dans un jardin japonais. Ca donnait tout de même à la précarité de l’emploi et à l’aliénation salariale une autre allure. Alors oui, les étudiants intello et arrogants de Civeyrac, plus vrais que nature, sont incontestablement bien croqués. Mais si le peintre avait eu un moins bon coup de crayon, ou d’autres ambitions que le réalisme, on aurait sans doute passé un bien meilleur moment de cinéma. MES PROVINCIALES écrit et réalisé par Jean Paul Civeyrac avec Andranic Manet, Gonzague van Bervesselès, Corentin Fila France /2H17 sortie le 18 avril 2018
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