Par Innana Ivert et Hypollite Büro Au programme de cette seconde journée: un cauchemar kafkaïen, une maison de retraite hantée, des esprits dans la plomberie et une maison de couture maléfique. de Johnny Kevorkian Grande-Bretagne 2018 Noël dans une famille anglaise tout ce qu'il y a de plus banal, avec ses tensions larvées et ses reproches à peine dissimulés. Sauf que toute la petite famille se retrouve coincée dans la maison avec comme seule instrument de communication avec le monde extérieur la télévision qui diffuse des messages abscons, puis de plus en plus menaçants... Le réalisateur nous avait prévenu, nous voici dans un savant mélange de Cronemberg, Festen, The Thing et Funny Games, pour ne citer que ces références. L'ambiance familiale est pesante dès le départ, entre le grand-père raciste, la petite amie d'origine indienne, le père psychorigide, la sœur et le beau-frère crétins notoires et la mère faussement enjouée. Le père, fanatique religieux, perturbé par son éducation hyper stricte, rabaissé en permanence par son propre père (qui le surnomme Vaurien) prend la tête du groupe mais fuit ses responsabilités dès que les événements deviennent insupportables (sa fille se blesse gravement). La télé donne des instructions de plus en plus glauques et tordues ("Vaccinez-vous", "Mettez en quarantaine le malade", "Faites parler la taupe") que le père exécute sans se poser de question, pensant qu'il s'agit de consignes du gouvernement. Les thématiques traitées, l'enfer familial, la pression religieuse, le pouvoir des médias et de l'autorité, le sont en finesse et avec grande originalité, avant de basculer franchement dans le fantastique. Le casting est très bon. Le grand-père, ex-militaire, est joué par David Bradley (magnifique salaud de Walter Frey dans Game of throne ou encore Argus Rusard dans la saga Harry Potter) qui a juste à montrer sa trogne à l'écran pour faire passer toute la haine et le mépris de son personnage envers sa famille. Et quand il ouvre la bouche, c'est pour cracher au visage de son fils sa condition d’employé de bureau et à son petit fils sa sensiblerie « de tapette » face aux illuminations de Noël. Le père, incarné Grant Masters est parfaitement anglais dans son rôle de chef de famille, suivant à le lettre les consignes données, aussi tordues et absurdes qu'elles semblent, car supposées venant d'une autorité supérieure. Face à cette folie, seuls se rebellent Nick (le fils) et Annji (sa petite amie), essayant désespérément de faire entendre raison au patriarche contrôlé par les instructions de la télé. Le virage du film vers le fantastique cauchemardesque (comme l'est Brazil) nous laisse comprendre que le sujet profond du film est la domination de l'homme par la machine, au prix de l'abandon de son humanité. Banlieue tranquille de Buenos Aires, un des habitants, excédé par le bruit des travaux de son voisin va taper à sa porte, il se rend alors compte qu'il se passe des événements plus qu'étranges dans le quartier, à commencer par la mort accidentelle d'un gamin qui décide, 4 jours après son enterrement, de revenir visiter sa chère mère. Une équipe de détectives de l'étrange prend les choses en main et s'installent dans le quartier dans l'espoir de trouver la source de tous ces phénomènes paranormaux.
La scène d'introduction m'a particulièrement plu, avec une violence très marquée et la mort étrange de la femme d'un des habitants, balancée sur les murs de la salle de bain par un esprit malin. L'acteur jouant le flic apeuré et un peu incrédule Maximiliano Ghione est très bon et arrive à faire passer sa détresse à l'écran, principalement grâce à son regard halluciné. Et maintenant, LE VERRE A MOITIE VIDE: Quand on intitule son oeuvre "Terrifié", que les personnages ne peuvent pas échanger trois répliques sans hurler "Ho mon dieu que j'ai peur" et qu'on a l'audace de prétendre réaliser le film le plus effrayant de la décennie (c'est pas moi qui le dit c'est Fausto Fasulo), on a plutôt intérêt à assurer ses arrières parce qu'on sait qu'on sera forcement attendu au tournant. Par exemple en prenant le temps d'installer une atmosphère, à développer la psychologie des personnages, à doser minutieusement ses effets, bref, ne pas faire n'importe quoi. Mais non. Môssieur Demian Rugna sait tout mieux que tout le monde, Môssieur Rugna est sûr de son talent et ne doute pas un instant de nous coller au fauteuil en nous entraînant dans son train fantôme de foire discount et en criant "Bouh!" toutes les deux minutes comme un sale gosse énervant. Pourquoi s'embêter à être original quand on peut repomper (comme un sagouin, en plus!) tous les poncifs des films d'horreurs produits depuis Rec en passant par Insidious? Résultat, on nous balance dès la première bobine une scène qui, autrement amenée, aurait pu être impressionnante (la femme soulevée dans les airs par une force invisible et violemment projetée d'un mur à l'autre de la salle de bain), mais qui arrive tellement comme un cheveu sur la soupe, vu qu'on ne sait pas ce qui se passe et qu'on ne connait même pas les personnages, qu'avec toute la bonne volonté du monde je ne pouvais pas voir autre chose que l'infortunée comédienne attachée sur son câble et baladée d'un bout à l'autre du décor par les gros bras de Marcel le technicien hors-champ, la clope au bec et la moquette pectorale dépassant du maillot de corps (oui je sais j'imagine des trucs idiots quand je m'ennuie). Et tout est à l'avenant. Jump-scares en pagaille, monstres déjà vu ailleurs en mieux. Un beau ratage. next of kinSéance culte Linda hérite de sa mère récemment décédée la vaste demeure familiale reconvertie en maison de retraite qu'elle avait quittée de nombreuses années auparavant. Elle se retrouve rapidement confrontée à des phénomènes étranges, tandis que les pensionnaires commencent à tomber comme des mouches (le lot commun dans une maison de retraite me direz-vous, mais les morts semblent tout sauf naturelles). Entretemps Linda mets la main sur le journal de sa mère, où figurent ces lignes inquiétantes : « Il y a quelque chose de diabolique dans cette maison, quelque chose qui y vit et respire le même air que nous ». Ça craint. Film inédit en France mais précédé d'une aura flatteuse acquise au cours des années, notamment pour avoir été cité dans le documentaire Not quite Hollywood, qui révéla au public hexagonal l'existence de l'Ozploitation (le cinéma d'exploitation australien qui s'épanouît du début des années soixante-dix au mitan des années quatre-vingt), Next of kin transpose dans l'Outback ce récit gothique avec un art consommé des ambiances oppressantes et des personnages désaxés. Avec un savant dosage dans la montée progressive de la tension, utilisant à merveille les techniques de mixage saturé qui ne sont pas sans évoquer Massacre à la tronçonneuse, et celle, pourtant très casse-gueule, du ralenti, dont il fait un usage miraculeusement hypnotique, Tony Williams balade les spectateurs en multipliant les fausses pistes jusqu’à son dénouement « apocalyptique ». Film de fantômes, thriller psychologique, récit de vengeance ? Next of kin est avant tout une métaphore du poids de l'hérédité, des fautes des aînés retombant sur les têtes des enfants ( le fait que l'action se passe dans une maison de retraite ne doit rien au hasard). Sans chercher à rivaliser avec l'insurpassable Wake in fright, l'oeuvre séminale de toute l'Ozploitation, Next of skin tient son rang sur un mode mineur certes, mais sans jamais déchoir, en dépit de quelques afféteries de mise en scène qui le date quelque peu. Une rareté à découvrir si vous en avez l'opportunité (bonne chance pour trouver une version sous-titrée, elles ne court pas les rues, et l'accent australien étant l'équivalent du patois berrichon pour un public francophone, évitez les imports!). NEXT OF KIN de Tony Williams, avec Jacki Kerin, John Jarrat, Alex Scott, Gerda Nicholson Australie/ 1982/ 89 mn In fabricHors compétition Sheila, une femme entre deux âges, souffre de son état de divorcée et rêve de retrouver l'amour par l'entremise de petites annonces. Pour séduire son prochain rendez-vous, elle fait l'achat dans l'excentrique boutique de prêt à porter Dentley & Soppers d'une superbe robe écarlate. Ce qu'elle ignore, c'est que cette robe est dotée d'une volonté propre, malfaisante et destructrice. Voilà. Présenté comme ça je vous l'accorde, le pitch d'In Fabric fait moyennement rêver, tant il évoque une palanquée de films fauchés produits à la chaine dans les années 60/70 par les maisons de production italiennes ou britanniques les plus impécunieuses (Oui Amicus, c'est à toi que je pense très fort), et par moment on s'attendrait presque à voir débouler Peter Cushing ou Michael Gough . Et bien vous auriez tort de faire la moue, car rien ne vous prépare à l'expérience psychotronique concoctée par l'imprévisible Peter Strickland, auteur de l'hypnotique Berberian Sound Studio et du très respecté Duke of Burgondy (que je n'ai pas vu mais dont on dit beaucoup de bien). Tout d'abord l'intrigue (ou ce qui en fait office) est beaucoup plus maligne qu'elle n'en a l'air au premier abord. Tout tourne autour de cette mystérieuse boutique, au personnel exclusivement féminin, vêtu comme des duchesses élisabéthaines, débitant aux clientes des imprécations abstruses en guise de boniments ensorceleurs. Sur cet étrange gynécée règne l'inquiétant Mr Lundy, qui semble faire l'objet d'un véritable culte tant de la part de ses employées que de ses consommateurs. La robe, qui va passer de main en main en apportant malheur et destruction à celui ou celle qui la porte, est plus qu'un simple Mac Guffin chargé de faire avancer l'action : elle est le symbole d'un fétichisme de la marchandise poussée jusqu'à l'aveuglement, à l'idiotie, dont Strickland se moque avec délectation. Avec un humour noir très britannique, Strickland dépeint une galerie de personnages perdus dans les contradictions de leurs pulsions inavouées, corsetés par les règles rigides d'une société sclérosée, où le seul bonheur autorisé passe par le tiroir-caisse. Les cœurs tendres comme Sheila, secrètement jalouse de la relation torride qu'entretient Vince son bon à rien de fils avec une femme fatale plus âgée que lui, ou les victimes-nées comme Reg, le réparateur de lave-linge brimé par sa femme et son beau-père, ceux qui jouent le jeu parce qu'ils n'osent pas tricher, tous ceux-là n'ont aucune chance d'échapper à la malédiction de la robe. Parce qu'ils respectent les règles d'un jeu qu'ils ne comprennent pas, ils sont perdus d'avance. Tout le film met en opposition permanente les forts (la maîtresse de Vince, la femme de Reg, les chefs de Sheila, dont je n'ai pas encore parlé mais dont les scènes où ils apparaissent constituent des sommets d'humour absurde, quelque part entre Kafka et les Monty Python), ceux qui édictent les règles ou les contournent, aux doux, aux faibles. Et comme dans la vie, ce sont les forts qui gagnent à la fin. Mais dire tout cela serait passer à côté de l'essentiel, car Strickland, en formaliste consommé, est avant tout un esthète du bizarre. Quand je citais plus haut ces fameuses productions fauchées des années 70, ce n'était pas par hasard, car elles correspondent en tout point au cahier des charges que le cinéaste s'est astreint à respecter, comme dans un exercice oulipien teinté de dadaïsme. Toute l'esthétique du film baigne dans une ambiance toute droit sortie de cette période ingrate entre toutes. Dès le générique, qui reprend les gimmick en vigueur à l'époque (arrêt sur image, couleurs criardes, clavecin désaccordé), on plonge dans une faille temporelle, celle de cette Angleterre qui se rêvait encore comme une puissance impériale et refusait de voir la modernité tirer le tapis sous ses pieds. Ajoutez à cela l'omniprésence de clips publicitaires aussi hideux qu'hypnotiques, le surréalisme hilarant des scènes de bureau ou inquiétant (voire carrément glauque) de l'arrière-boutique de Dentley & Soppers, et vous aurez une idée de l'univers mental de Peter Strickland, qui n'a rien à envier à celui de Terry Gilliam ou celui de David Lynch. Fable goguenarde déguisée en film d'horreur, In Fabric est un nouveau jalon dans la filmographie du cinéaste le plus original du Royaume-Uni, le joyau maudit de la couronne d'Angleterre ! IN FABRIC réalisé par Peter Strickland, avec Marianne Jean-baptiste, Julian Baratt; Sisde Babett Knudsen, Gwendoline Christie, Richard Bremmer, Hayley Squires, Leo Bill Royaume-Uni/ 2018/ 119 mn UPDATE: La boite de prod A24 vient de sortir (enfin!) une bande-annonce du film, ce qui laisse espérer une sortie en salle sur le marché anglo-saxon, et pourquoi pas en France si un distributeur pas trop frileux voulait bien s'y risquer, on peut toujours rêver!
0 Commentaires
Votre commentaire sera affiché après son approbation.
Laisser un réponse. |
sorties
découvrez les films en avant-première, ainsi que les sorties récentes à ne pas rater selon mon humble avis (mais vous faites ce que vous voulez). Archives
Janvier 2023
Catégories
Tous
|