Par Sophie Louge Entre gris bleu et rose buvard, le petit monde en demi-teinte de Christophe HonoréPlaire, aimer et courir vite a été nominé 4 fois à Cannes mais n’a obtenu, comme les précédents opus d’Honoré, aucune récompense. Il n’est pas bien difficile de deviner pourquoi: l’univers du réalisateur des Chansons d’amour (incontestablement culte pour ma génération de bobos intellos qui ont été biberonné à la Nouvelle Vague) cristallise tout ce qui peut agacer et déplaire dans le cinéma d’auteur français actuel. Oui, Honoré fait du cinéma sous l’influence des films et des livres qu’il aime. Mais cela n’en fait pas pour autant un réalisateur snob et maniéré. Voici ce que nous allons tenter de démontrer n’en déplaise aux grincheux blasés et frileux. Coup de bol, Plaire, aimer et courir vite en est certainement la meilleure démonstration: la gravité du sujet ou peut-être la maturité de celui qui le traite rend le film plus posé et moins poseur que ses grands frères. On ne badine plus, on met ses tripes sur la table sans pour autant se laisser engluer dans le pathos et le sérieux :c’est du Honoré pur jus, mais en mieux. Une petite musique silencieuseUne fois n’est pas coutume, Honoré semble vouloir se tenir à distance, en apparence du moins, de la comédie musicale à la Demy qui fut longtemps son fond de commerce. C’est pourtant bien à son maître qu’il reprend ce mélange de gravité et de légèreté, seul capable de réenchanter un monde abîmé par le réel. Il y a de la musique pourtant, il y a des notes qui contrastent et résonnent. Plusieurs voix, plusieurs tons s’opposent, se croisent, se fuient ou se mêlent, créant en creux une sorte de symphonie des rapports amoureux. Les différences d’âge, de milieu géographique et socioculturel échappent aux clichés, d’abord parce qu’elles ont une résonnance autobiographique (tous les personnages sont un peu le réalisateur à différents moments de sa vie) mais surtout parce qu’elles ont une fonction diégétique et esthétique. Il faut cette rencontre qui n’aurait pas dû arriver, cette romance qui n’aurait pas dû avoir lieu pour que naisse, quelque part entre les îles bretonnes et l’île de la Cité, la possibilité d’un film. Ou plutôt simplement un petit air au piano qui évoquerait un film possible, un désir de romance. Main droite: indécision joyeuse et énergie du temps des promesses. Main gauche: tristesse des certitudes rongées par la fatalité. Voilà, Honoré nous donne ça : deux voix, celle du germanopratain blasé et cynique d’un côté, celle du petit breton entier et plein d’espoirs de l’autre. Et c’est finalement à peu près tout. C’est la force et la limite du film: une exquise esquisse qui n’existe que grâce à l’imaginaire et aux références du spectateur et qui prie gentiment ceux qui en sont dépourvus de passer leur chemin! Dans La Maman et la putain, Alexandre était en équilibre entre un amour qui meurt et un amour possible mais se révèle n’être que l’ombre de la mort d’un amour plus ancien encore. Pour briser le cercle infernal, il lui faudra perdre de sa superbe, s’ouvrir à l’autre, aux doutes et aux regrets. Vingt ans plus tard, la peur du sida a remplacé le féminisme et la libération sexuelle, mais c’est toujours entre Eros et Thanatos, à trois dans un lit où on ne fera pas l’amour, entre passé et présent, entre celui qui vous aidera à mour,ir et celui qui vous a fait revivre que l’on existe vraiment. La vie ne vaut d’être vécue que quand on cesse de la vivre pour en devenir le spectateur ou le créateur. Un film romantique, un vrai, n’est pas un "feel goog movie"… c’est un requiem. Ce qui intéresse Honoré c’est d’ailleurs moins les lignes mélodiques que l’harmonie paradoxale qui se dessine entre elles. On ne sait en définitive pas grand chose de cette romance et cela n’a guère d’importance. Ce qui compte, c’est le miroir déformant que les deux hommes se renvoient l’un à l’autre. L’union, ou la possibilité d’une union, entre l’expérience et la fraîcheur, l’ivresse de la découverte et le crépuscule de la vie, la confiance et la peur, les certitudes et les doutes, les espoirs et les regrets créent moins un couple qu’un homme. Un homme qui serait l’incarnation de l’amour absolu selon Platon, complété par celui qui est tout ce qu’il n’est pas, ou plutôt en l’occurrence ici ce qu’il n’est plus (mais l’a-t-il jamais été vraiment, on ne le sait pas plus que lui). A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vieReconstitution parfaite de l’atmosphère en demi-teinte des années 90 (des livres aux films en passant par la musique, la déco et le langage), moins arrogantes que les années 80 mais pas encore atteintes par la désillusion angoissée qui caractérisera la décennie suivante, le film fait plusieurs fois explicitement référence au texte de Guibert. Car la maladie de Jacques signe la fin des certitudes, les siennes mais aussi celles de toute une génération. Une page est tournée, on entre dans l’ère du doute, comme vient nous le rappeler la si belle chanson d’Anne Sylvestre. Ce qui a lieu entre eux va faire d’Arthur et de Jacques “des gens qui doutent et promènent leurs automnes au printemps”. Ils parcourent le même chemin, mais en sens inverse. Dans ce flottement quelque peu inconfortable entre espoir et désespoir ils se découvrent des talents d’équilibristes, un bonheur en creux, fragile mais absolu. Son impossibilité même lui confère sa perfection: il ne sera jamais sali ni par le temps ni par les petits compromis mesquins auxquels la réalité nous condamne. La scène du bain et celle de danse, purs instants de grâce, incarnent parfaitement cette extase de condamnés: le seul bonheur qui en vaut la peine est celui qu’on entrevoit par le trou de la serrure, l’instant volé, le pied de nez à la fatalité. Plus romantique tu meurs, on vous dit! Le Protocole compassionnel (H. Guibert) aurait également pu avoir sa place au chevet de Jacques, car la question de la consolation et de de son impuissance sont au cœur du film. Comme chez Guibert, la dégénérescence physique et la mort ne sont pas montrées en tant que telles (ouf…). Elles n’apparaissent pas à travers le corps de Jacques mais dans le regard de ceux qui désormais ne lui demandent ni ne lui reprochent plus rien. Leur gentillesse mortifère est insupportable comme le démontre avec beaucoup de subtilité et de justesse les pleurs de Jacques après le départ du gigolo éconduit. Le seul qui n’est pas là à cause de la maladie c’est Arthur. Ce qui lui reste de vie est tout entier dans les yeux rieurs du jeune homme. (un Vincent Lacoste a priori pas très crédible mais qui se révèle très à l’aise pour jouer sur l’ambiguïté des registres). Une idylle improbable, mais après tout la survie d’un condamné n’est-elle pas par définition improbable? Pas un "feel-good movie", donc, mais un film-consolation (genre injustement représenté à mon sens) qui démontrera au dépressif chronique qu’il est peut-être le plus heureux des hommes (si ça marche pour les filles ça m’intéresse aussi…) et prouve à Arthur qu’il avait tort d’affirmer que les films sont moins beaux que la vie : sera vraiment vivant celui qui saura mettre un peu de cinéma dans son existence, faire un strip-tease dans une chambre d’hôpital au chevet d’un mourant ou partir à Rennes en pleine nuit à la poursuite d’on ne sait exactement trop quoi…peut-être de celui qui trouvait épatant de teindre des roses en rouge dans l’arrière cour d’un immeuble où l’amour conjugal agonisait. (quelle autre raison trouver à la métamorphose capillaire de Vincent Lacoste?...). Honoré réussit là où Garrel a souvent en partie échoué: il ne ressuscite pas la Nouvelle Vague, il la recrée, ce qui n’est pas tout à fait pareil (et non on ne dit pas uniquement cela parce que Podalydès en homo moustachu est une trouvaille qui nous rend jaloux!). PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE écrit et réalisé par Christophe Honoré, avec Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste, Denis Podalydès, Sophie Letourneur, Adèle Wismes, Clément Métayer. France/2018/ 2h12 SORTI LE 10/05/2018
1 Commentaire
Hyppollite Büro
20/6/2018 02:02:28
Magnifique papier, et je ne dis pas ça parce que je l'ai édité! J'étais resté de marbre durant la projection de ce film, le trouvant beaucoup moins fort que le récent "120 battements", mais peut-être ai-je eu tort de le comparer au film de Campillo sous le seul prétexte qu'il m'évoquait un drame des années Sida et que les protagonistes sont homosexuels, alors qu'en vous lisant je réalise que le film d'Honoré est à la fois beaucoup plus intimiste et beaucoup plus universel que ça. C'est un drame amoureux, tout simplement, tout autant qu'une déclaration d'amour à la vie ( sous Xanax certes) et à un cinéma qui n' a pas renoncé à la célébrer. J'avoue, j'étais complètement passé à côté, jusqu'à ce que je lise cette phrase:
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