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 Où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si   lourds… »

3/9/2016

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« Les serviteurs étaient muets. Les jeux étaient silencieux, naturellement. C’était un lieu de repos, on n’y traitait aucune affaire, on n’y tramait aucun complot, on n’y parlait jamais de quoi que ce fût qui pût éveiller les passions. »

C’est ainsi que la voix-off décrit le décor du film, qui est peut-être un château, peut-être une maison de repos, en tous cas un endroit à la fois fascinant et inquiétant pour le spectateur. Les longs travellings qui le parcourent sans relâche, comme pour tenter d’en percer le secret, découvrent un dédale de pièces plus figées les unes que les autres puis un parc dont l’ordonnance semble tout aussi immuable. Les habitants de ces lieux ne semblent guère plus vivants. Ils marchent d’un pas lent et mesuré, parlent à voix basse et semble respecter un code de conduite particulièrement rigide. Les plans statiques viennent souligner encore la raideur cadavérique de leur maintien comme de leur esprit. Un homme, un seul, semble souffrir de cette pétrification et lui chercher une antidote en réveillant la mémoire, l’imagination et l’amour d’une femme. Mais l’immuable ordonnancement résiste et les lieux, autant que les personnages semblent décidés à lui barrer la route.

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Psychopathologie du complot.

À aucun moment du film il n’est fait explicitement allusion à l’existence d’une quelconque machination. Le spectateur a pourtant l’impression confuse qu’il se trame quelque chose, sans qu’il lui soit possible de l’affirmer avec certitude. Car les auteurs ont su trouver les images capables de parler à une sorte d’ « inconscient planétaire » permettant de faire partager « une portion de subjectivité 1», en l’occurrence ici un regard angoissé. L’ambition de Marienbad est de découvrir ce qu’il faut filmer et la manière dont il faut le filmer pour que nous ayons la sensation qu’un danger guette. La bande-son joue à cet égard un rôle déterminant. C’est par exemple probablement parce que l’on ne comprend pas les paroles qu’échangent les personnages qu’ils prennent l’aspect inquiétant d’êtres à la fois menaçants et menacés. De même, si les conversations restent toujours de bon ton, elles manquent cruellement de naturel et les plans fixes en accentuent encore l’aspect contraint et figé. Les personnages parlent à voix basse, comme s’ils craignaient que ne s’ébruite quelque secret. Ils se déplacent sans cesse, de galerie en couloir et de salon en salle de réception, comme s’ils craignaient d’être rattrapés par quelque chose ou par quelque un. On ne parviendra pas à prouver que l’on complote à Marienbad, pas plus qu’à affirmer qu’il s’y passe ou qu’il s’y est réellement passé quelque chose : le film pourrait aussi bien n’être qu’un rêve. Par conséquent, la figure du complot est ici directement liée aux doutes et aux interrogations que le cinéaste crée dans l’esprit du spectateur en multipliant les manques et les trous. Que regardent les personnages que l’on aperçoit de dos et dont l’attention semble retenue par un spectacle qui demeure hors champ ? Que disent ceux que l’on voit chuchoter à voix basse sans entendre les phrases qu’ils prononcent ? Pourquoi les autres clients s’enfuient-ils lorsque A et X se retrouve l’un en face de l’autre dans un salon ou dans un autre ? L’absence de réponse aiguillonne l’imagination, l’incertitude crée le mystère. Un autre élément nous empêche de déterminer si, oui ou non, un événement important et dangereux se prépare à Marienbad. La caméra subjective, en nous livrant le point de vue du personnage sur l’univers qui l’entoure, nous prive en même temps de toute certitude. Or cette caméra subjective nous permet de diagnostiquer chez les personnages une angoisse paranoïaque : Chacun perçoit ce qui lui est extérieur, les lieux aussi bien que les individus, comme une source inépuisable de menaces. Lorsque X joue à ce jeu auquel M « peut perdre mais gagne toujours » il a le sentiment d’être lui-même le jouet d’une sorte de machination puisqu’il soupçonne immédiatement son adversaire de tricher: « Et si c’était à vous de commencer le premier ? » suggère-t-il à M d’un air de défi. Les autres pensionnaires sont d’ailleurs également de cet avis. Sur le fond confus des conversations mêlées se détachent des lambeaux de phrases distincts :
« -C’est celui qui commence qui gagne. -Il faut prendre un nombre impair. -Le plus petit nombre impair total. -C’est une suite logarithmique. -Il faut changer de rangée à chaque fois. »


1 André S. Labarthe et Jacques Rivette, « Entretien avec Resnais et Robbe-Grillet » in Les Cahiers du cinéma n°123, 1961.


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L’idée même du complot, telle qu’elle se développe dans l’esprit de X, est alors le résultat de la négation du hasard. Il n’est pas naturel à ses yeux que M gagne toujours ni qu’il apparaisse, au détour d’un couloir ou d’une allée, lorsque lui-même tente de convaincre A de quitter cet homme et ce château pour le suivre. Une fois encore, l’union paradoxale du réel et de l’illusion, du hasard et de la préméditation fait surgir l’idée de complot. La « surveillance invisible » que X soupçonne M d’exercer sur la femme qu’il aime lui est d’autant plus douloureuse qu’il n’en maîtrise pas jusqu’à l’existence même. Les gros plans de X découvrent un homme silencieux, les traits figés, le visage dur et préoccupé, comme en proie à une inquiétude mal définie ou à une angoisse sans objet. Le discours qu’il tient à A tente de l’arracher à cet univers qu’il considère comme une prison, en en faisant une description particulièrement disphorique : « Toujours des murs, toujours des couloirs, toujours des portes, —et, de l’autre côté encore d’autres murs. ».

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Projet pour une révolution à Marienbad : sous le stuc, un nouveau cinéma.

Pour X, l’univers de Marienbad est dangereux : une volonté inconnue semble y travailler à la destruction de ses projets et de son passé, menaçant ainsi son identité et jusqu’à son existence. Le spectateur n’a d’ailleurs pas un sentiment bien différent à l’égard du film. Car ce dernier trouble ses repères habituels, compromet sa compréhension et remet en cause son appréhension de l’œuvre d’art. En créant Marienbad, Resnais et Robbe-Grillet complotent contre le spectateur, ou plus exactement contre la manière dont ce dernier est habitué à regarder les films et contre ce qu’il aime y retrouver. Les premières victimes de ce complot sont les principes de réalité et de non-contradiction. Le déroulement du film épouse en effet celui de sa propre négation : le récit se détruit lui-même à mesure qu’il s’élabore. Les multiples incohérences qu’il est possible de relever dans le film, par exemple entre ce que décrit la voix off de X et ce que nous voyons à l’écran, le montrent assez clairement. Mais les disjonctions narratives de L’année dernière vont au-delà de la simple contradiction. C’est d’a-chronologie et d’illogisme qu’il convient de parler à propos de ce film qui refuse de tenir compte des habitudes et des attentes de ses spectateurs en matière de causalité et de temporalité. Les fameuses bobines interchangeables demeurent bien plus célèbres que la scène où une balustrade du château s’effondre sous le poids de l’angoisse de A ; mais toutes deux participent d’un même refus de limiter l’œuvre d’art à une reproduction servile et vaine (puisque de toutes manières impossible) du réel.

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La seconde victime du complot ourdit par les auteurs de L’année dernière à Marienbad est donc l’illusion référentielle. L’arme essentielle des comploteurs devient alors la mise en abîme. En multipliant les représentations symboliques de l’intrigue, elle même représentation illusoire et impuissante de la réalité, le cinéaste suggère que l’objet metaphorisé (c’est-à-dire l’ « intrigue » du film, l’histoire de A et de X ainsi que l’hypothétique année dernière) n’a pas plus de consistance ni de réalité que les gravures ou les statues qui en constituent l’élégant reflet. Il ne s’agit cependant pas là de miner l’œuvre d’art, bien au contraire. En cherchant à discréditer la réalité et la valeur du signifié, c’est le pouvoir de création absolue du film que Resnais et Robbe-Grillet entendent célébrer. La force de Marienbad est de proposer un univers inédit, doté d’une logique et d’une cohérence qui lui sont propres. Ce que les auteurs de Marienbad cherchent à détruire c’est l’illusion sans conscience, le spectateur séduit qui ne voit pas la beauté du sortilège ni la candeur de sa foi.

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L’Année dernière à Marienbad ne serait qu’une banale histoire d’amour, d’adultère et de jalousie, si tout était dit et qu’aucun élément de l’histoire n’était sujet à caution. Les auteurs en ont décidé autrement et ont fait de l’incertitude et de la contradiction le sujet même du film. Comme les personnages, l’abolition de la vérité objective et de la rationalité nous effraie. C’est pour cela que nous avons, comme eux, le sentiment qu’un complot se trame à Marienbad. L’idée de complot désigne moins ici une action souterraine qu’il faudrait démasquer que la paranoïa de ceux qui en ont conçu l’idée. C’est cette paranoïa que Resnais et Robbe-Grillet dénoncent, cette peur de l’inconnu et de l’autre qui ne mène qu’à une pétrification morbide.

L'année dernière à marienbad

réalisé par alain resnais  avec delphine seyrig, Sacha Pitoeff, giorgo albertazzi, françois berlin.
france/1961/ 94mn
scénarisé par alain robbe-grillet

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    Auteur

    Sophie Louge est enseignante en Lettres, spécialiste du Nouveau Roman, et collabore à plusieurs revues et livres consacrés au cinéma

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