la révélation A mon époque (mais est-ce encore le cas?), il était de mise pour les élèves des lycées prestigieux du quartier latin d’ afficher un mépris hautain pour ce que nous qualifiions alors de “cinéma commercial”. Il était parfaitement impensable de fréquenter quelqu’un qui avait déjà mis les pieds dans un UGC, aimé "Le Grand Bleu" ou été voir "La vérité si je mens". Nous hantions les petites salles d’art et essai, de rétrospective en rétrospective, avides de voir “tout ce qu’il fallait avoir vu”. Il nous aurait semblé sacrilège de penser que le cinéma put être un divertissement et nous mettions dans notre cinéphilie naissante une application et un sérieux sans doute bien trop scolaires. Il y avait pourtant des instants de grâce, où l’érudition laissait enfin place à l’émotion et au plaisir. Je les découvris pour ma part dans les films de Godard, d’Eustache et de Truffaut. Je comprendrai bien plus tard que ce furent ces films plutôt que d’autres qui me révélèrent que le cinéma allait m’aider à vivre parce qu’on y retrouvait Jean-Pierre Léaud. Pour Truffaut aussi la rencontre de Jean-Pierre Léaud fut une révélation. En regardant les essais qu’il lui fit passer avant de tourner les 400 coups on comprend pourquoi. Il y a dans l’énergie qu’il déploie, comme si sa vie dépendait de ce rôle, à la fois un aplomb déconcertant et une troublante fragilité. Pour le jeune Léaud, devenir Doinel est une urgence, une absolue nécessité. Pour Truffaut c’est une évidence: plus téméraire et plus révolté qu’il ne le fut bien qu’il eusse aimé l’être, il incarne la transfiguration de la vie par le cinéma. Truffaut, Léaud et Doinel vont alors former une trinité magique et maléfique à la fois, cinq films durant.
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Auteur
Sophie Louge est enseignante en Lettres, spécialiste du Nouveau Roman, et collabore à plusieurs revues et livres consacrés au cinéma Archives
Juillet 2017
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