Par Sophie Louge
Vous déprimez en voyant la nuit tomber à quatre heures de l’après-midi? Les décorations de noël qui fleurissent dès la mi-novembre, donnant déjà à la ville triste un air de lendemains de fête, vous donnent des envies de meurtre voire, pire, de suicide? Alors, tout comme moi, Family film ne vous laissera pas indifférent. a winter filmParce que Family film est une tragi-comédie hivernale bien moins simpliste qu'il n' y paraît, Olmo Omerzu mélange les genres pour narrer l'histoire touchante d'un couple de bourgeois à la dérive partis à la recherche d un second souffle quelque part au milieu de l'Océan Indien, laissant seuls leur fille et leur fils adolescents. Cette distance ouvrira une brèche au sein de laquelle vont se développer à fois une robinsonnade canine, un drame matrimonial, une satire sociale et un récit d' initiation sexuelle. Dans L’Etranger de Camus, tout semble être la faute du soleil et de la chaleur. Ici, il semble au contraire que ce soit l’hiver, le froid et la neige qui génèrent des catastrophes en cascade. Parce que l’hiver praguois, ça rigole pas. La perspective d’une enfilade de mois placés sous le signe de l’anorak et de la chapka accule à la fuite. Exil géographique ou moral deviennent la seule alternative: Sexe, vodka, bikini et coups bas entre amis s’invitent en Tchéquie. Pour dégivrer le pare-brise et dissiper un brouillard cotonneux, anxiogène et dépressif, notre petite famille modèle, bien sous tous rapports, n’aura d’autre choix que de jouer avec le feu. Chacun va, avec un plaisir mêlé d’effroi, passer à sa manière un pacte avec le diable, se réchauffer en bravant les interdits, les tabous et les peurs. Car seuls l’aventure et le mal se révèleront capables de fournir la dose d’adrénaline nécessaire pour faire remonter le mercure…et le moral. Il faut oser et transgresser, partir braver des tempêtes au bout du monde en laissant sa famille derrière soi, descendre nu l’ascenseur d’un immeuble bourgeois, faire de la trottinette sur un parquet lambrissé, allumer, tromper et jouer avec les nerfs de ceux qu’on aime. Ca pimente, ça met du baume au cœur et le rouge aux joues. une tragédie tchèquePourtant, aucun des membres de cette famille ne croit réellement aux bienfaits du soleil artificiel qu’ils ont commis d’office dans leur vie. Cette chaleur qui procure une anesthésie bienfaisante et une ivresse roborative n’est qu’un leurre, ils ne le savent que trop bien. C’est un sursis, des instants de bonheur volés qu’il faudra rembourser au centuple.
On nous montre des situations joyeuses (vacances, liberté, découvertes) mais ce bonheur sonne toujours faux. La photo bleu-gris-métal qui nous glace les yeux et le sang met en scène une démonstration d’une implacable limpidité: contrairement aux apparences, rien d’heureux ne va advenir. On le sait, on le sent d'emblée. L’ambiance est bien trop glaciale dans cette voiture de luxe qui roule vers les antipodes comme on part pour l’échafaud, tout est bien trop beau, trop vaste et trop blanc dans cet appartement bourgeois que les amis de passage ne parviennent pas à meubler. Et ce n’est pas spoiler que de vous le révéler.
Car pas plus que Phèdre n’a une chance de ne pas mourir, personne ici ne peut raisonnablement espérer sortir indemne de cette épopée familiale. Comme dans la tragédie grecque, l’immoralité et l’audace appellent un châtiment inéluctable que les éléments (mer déchaînée ou froid homicide) se chargeront d’infliger. Oser c’est s’exposer et s’exposer c’est se suicider un peu, socialement et affectivement. Les piliers de cette petite famille idéale vont devenir des parents démissionnaires, infidèles, jaloux et rancuniers. Leurs enfants modèles se révéleront être des jeunes gens absentéistes et irresponsables. L'oncle, qui avait toujours jusque là docilement courbé l'échine, trouvera là l’occasion de s'affirmer aux dépens de ce couple bourgeois à la respectabilité suspecte. la répression, expression de la réaction?Liberté, autonomie et transgression figureraient donc ici des débordements dont une certaine catharsis viserait à nous protéger? Pas forcément. Car la réussite de family film est d’être tragique sans être réac. Parce qu’une tragédie qui se finit bien est bien plus riche et complexe, plus vraie sans doute et donc plus touchante aussi. Dans Family film cette subtilité là nous la devons à … un chien. Dieu sait que je ne suis guère friande des comédies canines, de Belle à Lassie, mais force est de constater qu’ici le procédé fonctionne admirablement bien. Parce que lui n’a rien demandé, va tout endurer et tout pardonner. Il suffira d’un regard, d’une caresse, d’un nom prononcé. Sans rancune, sans rancœur, sans ego, cette bête là est bien un exemple pour ses maîtres. Un exemple qu’ils auront la sagesse de suivre et qui les sauvera du pire des naufrages, celui qui surgit quand tout redevient calme et que la tempête a mis à découvert ce que la paisible succession des jours avait si bien colmaté. Alors, si vous pensez que l’hiver est une bien morne saison, allez voir Family film : vous verrez combien de petites lâchetés et de grandes trahisons peuvent se tapir au coin du feu.
FAMILY FILM
réalisé par Olmo Omerzu, avec Karen Roden, Daniel Kadlec, Vanda Hybnerova... 2018 / Tchéquie /1h34 Sortie française: 7 novembre 2018
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