Par Sophie Louge La maman, la putain et la petite fille qui voulait grandirLes gens ne parlent pas de Ma Fille: deux malheureuses entrées sur google et quelques entrefilets dans la presse dite “spécialisée”(en quoi au fait ?), voilà tout ce que la France a été capable d’offrir à une réalisatrice italienne très jeune, pas très jolie et pas très connue. Evidemment, il y a tant à voir et à dire par ailleurs: des films sortent avec Penelope Cruz ou Vincent Cassel, d’autres abordent de vrais sujets avec des vrais gens qui souffrent vraiment, il faut condamner Bécassine qui ridiculise la femme et la Normandie [ NDLR: Sophie, si tu confonds la Normandie et la Bretagne tu vas te faire plastiquer ton appartement par les indépendantistes!]sans oublier de pester contre Trois jours à Quiberon qui ose montrer une star paumée titubant en peignoir de bain dans les couloirs d’une Thalasso pas très glamour. Moi, je n’aime pas les gens; je me suis donc précipitée voir Figlia Mia. Eh bien, ne vous en déplaise, la misanthropie a du bon: seule dans une salle désertée par les dingos de la bronzette sur pelouse fleurie de papiers gras et de gamins hurlants à la mort, j’ai découvert une perle. Une perle, une vraie, pas de celles qui semblent accrochées pour l’éternité au cou des dames comme il faut, une perle irrégulière, aux reflets glauques et incertains, merveilleuse au creux d’une huître mais scandaleuse dans un écrin, de celles auxquels les poètes baroques empruntèrent leur nom. Ma fille a la beauté âpre et exigeante d’un monde où le vrai péché n’est pas le mal mais le manichéisme, ce truc rassurant qui pointe inévitablement son nez quand tout va mal pour éviter aux braves gens de trouver une mise à jour du logiciel repères-valeurs compatible avec ce qu’ils sont en train de vivre. Bienvenue en Sardaigne, le Jurassic Park italien.La Sardaigne est une île italienne très traditionnaliste, où les femmes passent davantage de temps à l’église qu’à la fashion-week de Milan, et où les gamines jouent encore de l’orgue à un âge où de par chez nous elles matent déjà des mangas qui feraient rougir nos grands mères. Mais la Sardaigne c’est aussi le Minotaure, Ulysse, l’Atlantide, le goût de l’aventure et de l’interdit, l’humain et le monstrueux inextricablement mêlés [NDLR: Oui, à ceci près que le Minotaure se terre en Crête, Ulysse se dore la pilule à Ithaque et l'Atlantide (Santorin) glougloute en mer Egée; mais bon, on ne peut pas être incollable en cinéma, en littérature ET en géo!] Ce décor là n’est pas pittoresque, il est la métaphore du projet de la réalisatrice qui le filme: petite fille gourmande et butée qui ne voit pas pourquoi il faudrait choisir entre fromage et dessert, Laura Bispuri va déconstruire un à un nos repères et renvoyer dos à dos les contraires, brouillant sans cesse les pistes pour ridiculiser nos exigences de spectateurs pantouflards, avides de certitudes, de vérités et de bienpensance à sens unique. Un film qui s’ouvre sur une gamine mangeant gentiment une glace devant une fille bourrée en train de se faire enfiler par gros porc histoire de se payer un dernier verre, il faut en profiter, on risque de ne plus en voir très souvent (à moins peut être d’interdire l’entrée de tous les cinémas de France à Marlène Schiappa…). D’entrée de jeu, le vernis de la civilisation s’écaille, comme s’il y avait dans la modernité une urgence paradoxale à exhumer un passé enseveli, à renouer avec une nature primordiale, élémentaire au sens propre du terme, c’est-à-dire animale, minérale et mythique. Ma fille c’est un peu retour vers le futur: quand le présent vacille, le seul avenir possible passe par un retour aux origines. L’h(H)istoire derrière le miroirCe postulat de départ sera le moteur narratif du film. Car si tout se décompose, se métamorphose et se reforme, pas besoin d’action; il suffit de s’arrêter pour contempler le spectacle. C’est ce qui permet à Laura Bispuri d’aborder des sujets rebattus sans renoncer au mystère. Au début, tout semble simple. La vie n’est pas facile sur cette terre aride, on travaille dur, on obéit, on courbe l’échine et on allume un cierge en espérant qu’un jour les choses s’arrangent. On reçoit des ordres ou on reçoit de l’amour, c’est pareil, tout est à sa place, les ouvriers à l’usine, les enfants à l’école. On obéit sans se poser de question parce qu’une famille et un travail, c’est déjà ça. Sauf que l’homme n’est pas de ces créatures qui se satisfont de l’essentiel, c’est un cul de jatte qui rêve de marathons, un mortel qui aspire au divin. Si l’on cherche systématiquement le contraire de ce que l’on a et de ce que l’on est, forcément, il se passe toujours quelque chose. J’ai une mère qui m’aime, j’en veux une qui me déteste. J’ai retrouvé celle qui me déteste, je redemande de l’amour maternel. Marthe Robert appelle ça Le Roman familial: pour se construire, l’enfant a besoin de croire que ses vrais parents ne sont pas les siens, qu’il vient d’autre part, qu’il a une autre histoire. Et c’est en construisant cette fiction qu’il invente son véritable destin. Mais ce n’est pas qu’un rite de passage: l’individu n’est libre que s’il conserve une part d’enfance et de déraison suffisante pour s’inventer un futur. Si Victoria cherche à savoir qui elle est en découvrant d’où elle vient, les deux louves qui s’affrontent au nom de son amour ne vont cesser de s’interroger sur ce qu’est la maternité et sur la manière dont elle fonde leur propre personnalité tout en étant déterminée par elle. Tina est-elle une mère aimante parce que c’est une femme délaissée? Angelina n’est-elle une mauvaise mère que parce qu’elle ne s’estime pas digne d’aimer et d’être aimée en retour? La générosité peut-elle être égoïste et l’égoïsme généreux? Contrairement à Salomon, la réalisatrice a le bon goût de s’abstenir de répondre. Elle se contente de suggérer, grâce au choix des prénoms notamment, que la sainte n’est peut être pas celle qu’on croit et que celle qui prie et respecte les codes domestiques n’est pas forcément un modèle de vertu. Car la sauvageonne de mauvaise vie, qui ne fait pas davantage de manières avec les hommes qu’avec les bêtes, est également une Mater Dolorosa dont l’amour a la puissance du doute et la vérité de la fragilité: penser qu’on est une mauvaise mère c’est peut être déjà prouver le contraire. la beauté du diable porte-t-elle bien son nom?Angelica (Alba Rohrwarcher, inattendue, solaire, sublime) a la beauté du diable. Elle en a la chevelure incandescente et le charme paradoxal de la souillure et de la transgression. Elle est la boîte de Pandore et la chambre de Barbe bleue, le trou où l’on s’engouffre avec délices précisément parce qu’on risque d’y perdre sa réputation ou son innocence. Elle est celle qui fait grandir parce qu’elle force à faire ce dont on se serait cru incapable, répondre à sa mère quand on est un enfant sage ou se saouler à mort quand on est une mère de famille exemplaire. En cela l’attraction qu’elle exerce sur la petite fille est parfaitement identique au désir qu’elle inspire aux hommes. Un désir sauvage, mêlé de peur et de haine, une soif de vivre qui flirte avec l’envie de mourir. Comme l’avait bien compris Oscar Wilde, la meilleure manière de résister à ce type de tentation est d’y céder: paradoxal mais indépassable, comme le patron de bar aussi amoureux qu’infidèle ou l’étrange petite troupe à la Jules et Jim que forment à la fin du film la fille et ses deux mères. Figlia Mia est à l’image de ce trio: un film de femmes, mais pas un film féministe. Un film qui, à l’image de ses héroïnes, est tout sauf un manifeste ou un modèle, mais cherche au contraire à redonner de la valeur à l’imperfection, à la fragilité et à la marginalité. Ce n’est donc pas davantage un plaidoyer pour l’émancipation féminine qu’une proposition d’éducation homoparentale, une interrogation sur l’identité masculine ou sur le passage à l’âge adulte. C’est tout cela à la fois et c’est bien moins dans les thèmes en eux-mêmes que dans la subtilité avec lesquels ils sont mêlés que réside la force du film, universel, intemporel et pourtant incroyablement incarné. MA FILLE (Figlia mia) réalisé par Laura Bispuri avec Valeria Golina, Alba Rorhwacher, Sara Casu, Udo Kier Italie/2018/1h37 Sortie française: 27 juin 2018
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