Par innana Ivert La Cinematheque Française propose une exposition consacrée à Sergio Leone, intitulée Il était une fois Sergio Leone, du 10 octobre 2018 au 27 janvier 2019. La promesse de l'exposition : par une approche croisée, à la fois chronologique et thématique, nous en apprendre plus sur la vie et l'œuvre du petit romain devenu grand réalisateur. Voici donc ce que j'en ai retenu... Né en 1929 d'un père pionnier du cinéma (Vincenzo Leone, dit Roberto Roberti) [Quelle imagination dans le pseudonyme] et d'une mère actrice (Edwige Valcarenghi, connue sous son nom de scène Bice Waleran), le petit Leone a très vite été plongé dans le milieu. Il assiste très jeune de grands réalisateurs italiens, mais aussi américains, tels que Vittorio De Sica, Mario Camerini, Robert Wise, jusqu'à participer au tournage de la course de char du Ben Hur de William Wyler en 1959 à Cinecitta et terminer la même année Les derniers jours de Pompéi, suppléant un Mario Bonnard affaibli par la maladie. On découvre également l'inspiration principale de Leone pour créer son premier grand métrage Pour une poignée de dollars : ébloui par Le Garde du corps (Yojimbo) d'Akira Kurosawa, Leone décide de le transposer dans l'Ouest américain, s'inspirant non seulement de la trame, mais également de la composition des plans. Le film de Leone est tellement « inspiré » de Yojimbo qu'un accord permettra, en échange d'un abandon des poursuites pour plagiat, à Kurozawa d'obtenir les droits de distribution de Pour une poignée de dollars au Japon en 1966. Mais Leone ne "copie" pas seulement d'autres réalisateurs, il a une grande culture tant littéraire que picturale et ses films font référence à la littérature classique (de Homère à Cervantès) et à la peinture, particulièrement Giorgo de Chirico qui a pour particularité de peindre le vide (des paysages plutôt dépouillés). On peut également identifier au détour d'une scène les danseuses de Degas ou des photos de Jacob Riis. Et pour Il était une fois en Amérique, il se permet même de filmer des classiques de l'art américain, comme Pip and Flip, de Reginald March. Il piocha aussi beaucoup d'idées dans les fumetti (BD italiennes) qui ont bercé sa jeunesse, comme Kit Carson, de Roberto Albertanelli (1937) ou plus tard Tex, justicier inspiré lui-même de Gary Cooper (1948, Aurelio Galleppini). On découvre également son obsession du détail qui intervient à tous les niveaux de la conception du film, du choix des décors aux costumes, du travail de l'image à la direction (particulièrement pointilleuse) des acteurs. Son casting de « gueules » pour Il était une fois dans l'Ouest révolutionne la vision des westerns : les personnages sont sales, balafrés, mais plus encore que leur apparence physique c'est leur amoralité qui choqua le plus la puritaine Amérique : exit le brave cowboy WASP défenseur de la veuve et de l'orphelin face aux hordes d'indiens ; dans le western de Leone, il n'y a plus de héros, rien que des hommes sauvages plongés dans un monde sauvage. Le coup de génie de Leone, en terme de casting, fut d'inverser les valeurs liées aux représentations traditionnelles des personnages dans le canon hollywoodien: transformant Clint Eastwood, qui sortait tout juste de la série télévisée très populaire "Rawhide", dans laquelle il incarnait un cow-boy bien sous tous rapport, en mercenaire cynique, métamorphosant l'acteur juif Eli Wallach, star des planches et acteur fétiche d'Elia Kazan en "bandido" mexicain, et pervertissant intentionnellement la mythologie de l'Ouest en offrant le rôle de Franck, l'assassin sans foi ni loi d'Il était une fois dans L'ouest, à Henry "le gendre idéal" Fonda (dans son unique rôle de Bad Guy, ce qui lui vaudra une avalanche d'insultes mais dont il saura toujours gré à Leone d'avoir eu les tripes de lui confier ce rôle). Mais si on reconnait immédiatement un film de Leone dès les premières secondes, c'est à sa manière unique de distordre le temps à l'intérieur de sa narration ; la dilatation temporelle, procédé qu'il explore jusqu'à frôler quelquefois l'expérimental, aux antipodes des canons narratifs hollywoodiens, balaye les ellipses et contraint le spectateur à s'investir dans chaque plan d'une façon entièrement nouvelle pour l'époque. Le travail de Leone et sa révolution artistique ne tiennent pas seulement à l'image mais aussi à un savant travail de la bande-son. Il suffit de prendre pour exemple la célèbre scène d'introduction d'Il était une fois dans l'Ouest qui tire toutes les leçons de l'héritage du muet. Dépourvu du moindre dialogue, seuls les sonorités et les bruitages y sont présents. Les plans, rythmées par une éolienne qui grince, le son du télégraphe, une mouche qui tournoie ou une goutte d'eau qui tombe lentement sur un chapeau, créent une tension mille fois plus efficace que n'importe quel dialogue. Leone, ou l'art de faire parler le silence. Mais que serait Leone sans Ennio Morricone, la relation artistique la plus féconde et la plus iconique entre un réalisateur et un compositeur de l'histoire du cinéma, à l'égal des duos Federico Fellini / Nino Rotta, Alfred Hitchcock / Bernard Hermann, ou Steven Spielberg / John Williams ? Leur collaboration débute dès Et pour quelques dollars de plus, Leone prenant soin de demander à Morricone d'écrire la musique avant de tourner, de la diffuser sur le plateau pour que les acteurs s'en imprègnent et que l'action se calque au mieux sur le rythme de la composition. Ils ne se quitteront plus, au point de créer une identité fusionnelle unique dont Morricone recueille encore les fruits (parfois amers : une anecdote célèbre raconte qu'il a quitté un jour un plateau après que le journaliste l'ai apostrophé en l'appelant "signore Leone". Et Leone était mort depuis une décennie!). Dès 1968, Leone se passionne pour un roman de 400 pages sur des gangsters juifs à New York, A main armée (The Hoods), il y voit le moyen de raconter, à travers un personnage qui se souvient de sa propre histoire l'histoire du cinéma elle-même, ou, pour être plus précis, celle de son propre rapport au cinéma. Ce sera son chef-d'œuvre, et son chant du cygne, clôturant magistralement une "trilogie de la violence dans la civilisation" commencée presque par hasard avec Il était une fois dans l'ouest, puis poursuivie méthodiquement avec il était une fois la révolution. Ainsi, il monte Il était une fois en Amérique à travers les flash-back de Noodles (Robert de Niro) embrumés par l'opium, sans que l'on soit jamais certains que ce que nous voyons relève de la réalité ou de l'esprit altéré de Noodle, rongé par la culpabilité d'avoir trahi ses amis. Cette incertitude, inhabituelle dans une filmographie qui s'était toujours donnée pour but de rendre au plus près la réalité de la violence des rapports humains, fut-ce par les moyens les plus "Opératiques" amorca un tournant vers une vision plus intimiste, mélancolique, et il n'est pas interdit d'y voir un portrait caché de l'auteur se retournant sur son œuvre, perplexe. Des tombereaux d'études rédigées par de savants exégètes ont pris parti à ce sujet, et l'exposition ne tranche pas davantage entre les hypothèses; c'est au visiteur, comme au spectateur, de se faire son opinion. Le film, projeté à Cannes hors compétition est remonté chronologiquement par le producteur pour sa sortie américaine (oh, la bonne idée !!). Heureusement pour nous, les versions italiennes et françaises sont en Director's Cut et gardent ainsi toute la poésie insufflée par Leone dans ce film personnel et mélancolique. Du petit garçon fasciné par une Amérique fantasmée (comme tous les enfants de sa génération) au jeune homme ambitieux et touche à tout, jusqu'au Maître habité par une véritable vision personnelle, tel est le parcours que nous dépeint l'exposition Leone. Grâce à son perfectionnisme, sa culture littéraire et visuelle et à sa persévérance, il a révolutionné le western spaghetti, lui donnant ses lettres de noblesse pour terminer sa carrière sur un chef d'œuvre maltraité à sa sortie (américaine) rendant un hommage vibrant au Cinéma, qui a été la grande passion de sa vie. Que vous soyez un aficionado hardcore ou un néophyte, ne ratez pas la rencontre avec l'homme qui a refait l'Histoire, celle de l'Amérique, et celle du Cinéma. IL ETAIT UNE FOIS SERGIO LEONE
du 10 octobre 2018 au 27 janvier 2019 à la Cinémathèque Française
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