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emily dickinson

2/6/2017

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Par Sophie Louge
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je suis Emily

Avouons-le, nous souffrons ces temps-ci d’une légère indigestion de biopics. Vaguement écœurés par l’abondance de reconstitutions historiques dénonçant un dix-neuvième siècle rigoriste castrateur d’artistes maudits, nous aurions pu (sans les révélations confidentielles d’Hippolyte Burö) passer à côté du dernier film de Terence Davies. Cela aurait été un grave péché. Car contrairement à ce que prétendent certains critiques, cette mise en scène d’une vie austère ne donne pas un film ennuyeux. Sans doute parce que, comme tout bon biopic, A Quiet passion n’en est pas vraiment un.

la passion selon terence davis

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Dans sa version originale, le film s’intitule A Quiet passion, tout court. La biographie n’est donc pas au cœur du projet, même si les distributeurs français ont sans doute jugé plus vendeur de le faire croire. L’oxymore du titre désigne d’emblée un dilemme et annonce davantage une tragédie qu’un simple récit de vie. Dès la première scène, où elle refuse de choisir entre le sacré et le profane, l’agnosticisme d’Emily fait d’elle une héroïne tragique, écartelée entre des aspirations irréconciliables et condamnée à demeurer en marge d’ elle-même et des autres. Emily refuse d’avoir une vie parce que cela impliquerait de renoncer à vivre. Elle refuse que le temps qui passe ait raison des révoltes et des idéaux. Elle devra pourtant se résigner à ce qu’il l’aigrisse et la durcisse puisque, comme elle le dit elle-même: “nous sommes condamnés à devenir ce que nous détestons le plus”. Emily a préféré l’écriture à la vie par peur d’endurer la neurasthénie maternelle mais succombera dans les mêmes souffrances, elle a méprisé ceux qui l'ostracisaient au nom des valeurs mais s’éloignera de l’amie ou du frère qui, moins intransigeants qu’elle dans leur irrévérence, se laisseront aller à certaines concessions. L’œuvre du temps, la mort au travail, leur refus ou leur acceptation constituent donc le véritable enjeu du film. L’ambition du cinéaste est d’en rendre compte à travers le mélange de fascination morbide et d’inextinguible vitalité qui se dégage du personnage d’Emily.



vivre

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En effet, avant d’être un renoncement, les refus d’Emily sont l’expression d’une volonté furieuse de penser et de vivre en absolue liberté, dans le refus catégorique de toute contrainte normative. Prononcé avec un esprit aiguisé et un humour décapant, son divorce d’avec les codes semble lui procurer une jouissance très sensuelle bien qu’extrêmement intellectualisée. C’est là ce qui fait sa force, la rend exceptionnelle donc fascinante: sa chasteté a la saveur des plaisirs interdits et ses saillies irrévérencieuses, totalement jubilatoires pour le spectateur, illuminent son visage comme une inexplicable éclaircie sur une toile de Turner.

Ni Dieu ni mari, tel semble être le credo d’Emily: l’art sera son seul maître. Pourtant sa famille et son salut sont son plus grand souci, et la dévotion qu’elle leur porte a quelque chose de mystique.
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Si ces deux aspirations ne sont pas contradictoires pour elle, elles le sont pour ses contemporains et pour ses proches. Plutôt progressistes, les Dickinson n’en respectent pas moins les codes: les bigots sont des sots mais font partie du tableau. Ces libres penseurs reçoivent donc leur grenouille de bénitier de tante, servent le thé au Pasteur qui ne boit que de l’eau et organisent pour le fils un mariage sans passion.
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De ce mariage naîtra un fils car la vie, au temps d’Emily (et sans doute pas seulement…) rime avec hypocrisie et compromis. Les relations sociales l’ imposent, la vie de couple le réclame. La clairvoyance de sa jeune sœur, les provocations de la plus libertine de ses amies se plieront à cette fatalité, à ce pacte aux airs de défaite. Pas elle.
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En refusant toute forme de concession Emily sauve son âme mais condamne son corps: la passion selon Terence Davis est christique. L’amour de l’art, des siens ou des hommes est un don de soi qui exige une abnégation absolue car on en obtient rien en retour. Les prétendants passent, les êtres chers meurent ou s’en vont vivre ailleurs. Quant aux poèmes, ils restent les invités clandestins des nuits de solitude.
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ne pas vivre



Le temps au travail, habilement matérialisé par la séance de photographie juxtaposant en accéléré les portraits successifs des Dickinson, transforme le visage des principaux protagonistes. Mais pour le personnage d’Emily le réalisateur suggère un changement beaucoup plus radical: c’est une nouvelle comédienne qui apparaît dans les deux derniers tiers du film. Car Emily ne vieillit pas, elle devient plus grave et s’absente peu à peu. Ses traits gardent une pureté juvénile mais de plus en plus figée. Ethérée et diaphane, elle n’est pas une vieille fille mais plutôt une sainte à l’aura spectrale, régnant sur un intérieur à la Vuillard, que l’art et l’amour filial subliment et condamnent à la fois. Lors d’un magnifique plan à 360°,la caméra recrée avec un admirable art de la lumière et du détail une miniature dont le titre pourrait être “la douceur du foyer”. Mais à mesure que la caméra tourne autour d’elle on comprend qu’Emily est prisonnière du tableau, comme la Nora d’Ibsen de sa Maison de poupée. Cette demeure familiale qu’elle aime tant l’enferme et la dévore peu à peu: elle sera son tombeau, sa Maison Usher. Le visage émacié, flottant dans son éternelle robe de dentelle blanche, elle erre telle un spectre au milieu de ce microcosme de la bienséance. Le charmant badinage subversif du début laisse place à une atmosphère de plus en plus pesante.
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Oubliée la fraîcheur et la lumière des promenades bucoliques, oublié le raffinement de la peinture victorienne d’un intérieur bonbonnière, on entre dans un conte gothique qui flirte avec l’horrifique et le fantastique.
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aimer et mourir: postérité et éternité



Les seuls fantasmes d’Emily sont anxiogènes et morbides (la montée des marches par le prétendant éconduit tient davantage du Giallo à la Mario Bava que de la fresque victorienne à la Stephen Frears [NDLR: personnellement cette scène m'a davantage évoqué certains plans de "The lodger", voire de "Psycho", quand Martin Balsam grimpe les marches qui mènent à la chambre de la "mère", un clin d'œil de connaisseur à l'auteur du très gothique "Rebecca"]) et ses seules extases seront celles du trépas. Elle manque d’air et nous retenons notre souffle: comment une telle vitalité peut-elle accoucher d’une pulsion autodestructrice aussi radicale? Sans doute parce que, si les saintes ne sont pas des monstres, c’est qu’elles sont avant tout des martyres. Aussi cassante et intransigeante soit-elle, aucun reproche ne tient face aux larmes d’Emily: “you’re so easy to love” lui dit Vinnie alors même qu’elle est la première à déplorer son intolérance face aux petites faiblesses de chacun.
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Emily est un idéal philosophique, désincarné et presque inhumain Or un idéal philosophique ne peut pas être une femme. Il faut donc déserter la sensualité du jardin, puis la chaleur du salon. La chambre elle-même, trop perméable aux fantasmes, cesse rapidement d’être un refuge. Voilà le drame de l’héroïne et l’argument véritable du film. La question du féminisme ou de l’agnosticisme ne sont que très secondaires car la tragédie d’Emily est universelle et intemporelle. Là encore on s’écarte du biopic pour toucher à quelque chose de beaucoup plus fondamental: la justification ontologique de l’existence que nous choisissons ou refusons de mener.
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​La vie d’Emily est-elle une catastrophe annoncée ou un accomplissement magistral, sa détermination une preuve d’égoïsme ou la démonstration d’une abnégation totale?

Ces questions se posent naturellement avec une intensité toute particulière pour l’artiste mais elles nous renvoient également à nos propres dilemmes: nous connaissons tous le confort du compromis et les blessures qu’engendrent la fidélité radicale à soi-même. Nous sommes tous un peu Emily et c’est pour ça qu’elle nous plait tant.
EMILY DICKINSON, A QUIET PASSION
​de Terence Davis, ave Cynthia Nixon, Jennifer Ehle, Duncan Duff, Keith Carradine, Emma Bell
​Grande-Bretagne & Belgique / 2017 / 125 mn
​sortie en France le 3 /05 / 2017
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