Un mois après, loin du barouf médiatique qui a accompagné sa sortie, entre fans de la chanteuse hurlant à la trahison et critiques professionnels criant au génie on ne sait pas trop pourquoi, il est temps de parler du film de Matthieu Almaric avec un peu de sérénité. Alors Barbara c'est quoi? Un énième biopic, un exercice de style, un trip égotiste enrobé dans un mot d'amour? Sophie mène l’enquête et nous livre sa vision toujours aussi pointue (et pour le coup un peu mélancolique) de l'échec d'un auteur qu'on continue d'aimer. barbara où es-tu? Avouons-le d’entrée de jeu, Mathieu Amalric, comme Arnaud Deplechin et quelques autres de ses acteurs de la première heure, figurent en bonne place (davantage qu’ils ne le méritent peut-être…) dans notre petit Panthéon cinématographique personnel. Ces personnages que nous avons découvert alors que nous terminions nos études, et qui avaient tant de mal à admettre qu’il était plus que temps d’ achever les leurs, sont devenus adultes en même temps que nous ou plutôt, comme nous, n’ont pas vraiment pu ou su le devenir. Nous les avons vu vieillir à l’écran, cahin-caha et si touchants, âmes d’enfants et corps abîmés par la vie, pris au piège entre leurs rêves et ce que la réalité attendait d’eux. Donc la question ne se pose pas, Barbara on y va, persudés (et encouragés par une bonne partie de la critique d’ailleurs) qu’on va A-DO-RER, comme on a adoré Tournée ou Le stade de Wimbledon. Sauf que voilà, un reste d’honnêteté intellectuelle nous force à admettre peu à peu que le charme n’opère pas. Ça peine, ça patauge, ça piétine, et si on n’ose pas encore s’avouer qu’on s’ennuie c’est vraiment en souvenir du bon vieux temps. Pourtant, il y a quelque chose de vaguement intriguant qui nous sauve de l’accablement et de l’agacement. Quelque chose de raté certes, mais qui distille l’air de rien une fascination tenace. Dans l’émerveillement de Mathieu Amalric, dans ses larmes, une minuscule fulgurance, presque totalement étouffée. Bilan des courses, on ne sait plus trop quoi penser de Barbara, ce n’est pas forcément si mauvais signe. biopic one more time Que Barbara viendrait nourrir la biopicomanie ambiante, on s’en doutait. Avec un titre pareil, c’est comme le Port Salut, c’est marqué dessus. Mais on avait confiance, le maestro allait désamorcer le genre, le malmener et s’en jouer jusqu’à le réinventer. Et pour le coup on n’est pas déçu: le film n’apprend strictement rien sur l’interprète de L Aigle Noir. Ce n’est d’ailleurs pas dérangeant en soi. Ce qui l’est davantage, c’est l’interrogation qui en découle: Alors finalement, Barbara, ça raconte quoi? Des visages, des voix, celles de la Dame en noir bien sûr mais également celles de Jeanne Balibar, qui a évidemment un petit air de famille et chante indéniablement très bien, se mêlent, s’emmêlent et se superposent sans pour autant qu’on y perdre notre latin ce qui semblerait pourtant être le but du film. L’inquiétante étrangeté du souvenir, le vertige du faux-semblant, la mauvaise foi douloureuse de celui qui voudrait croire à ses propres chimères sans y parvenir tout à fait, on comprend bien à quel type de voyage on est convié mais on attend toujours que le train entre en gare. making of....again En ne traçant pas de sentier pour le spectateur, Mathieu Amalric l’incite à s’immiscer dans l’esprit du réalisateur et les méandres de la création. Barbara est un film sur un film en train de se faire, ce qui n’est pas, on en conviendra, d’une grande originalité. Mais là où ce procédé éculé retrouve un peu de sa superbe, c’est qu’il est mis au cube. Ce n’est plus un film sur un film mais un film sur un film qui raconte un tournage qui se propose lui-même d’adapter un livre tentant d’approcher la réalité d’une artiste. Les mauvaises langues diront que cet embrouillamini n’est que de la poudre aux yeux, un maladroit cache-misère qui peine à recouvrir le vide du propos. C’est un peu sévère et sans doute aussi un peu injuste. Car si le film a un intérêt, (et on aimerait quand même bien que ce soit le cas…), il doit être caché quelque part par là. Comme souvent, Mathieu Amalric a ramené de son dernier tournage avec Desplechin le fantôme de son personnage, Ismaël Vuillard en l’occurrence, créateur dépassé par sa création et par la vie ou pour être plus précis par l’indémêlable écheveau qui se tisse entre les deux. Si Barbara peut nous intéresser c’est par le vertige kaléidoscopique qu’il propose, un peu excessif convenons-en mais malgré tout d’une virtuosité relativement inédite. lavratus prodeo Yves Zand est un réalisateur tout aussi perdu et névrosé qu”Ismaël Vuillard, mais bien plus introverti et beaucoup moins fantasque. Mathieu Amalric, pantalon de velours et cardigan de laine, vieux garçon un peu triste retranché derrière ses demi lunes et d’une discrétion spectrale, est presque à contre emploi: pas de drame, pas de scènes, pas de pétage de plomb, il ne nous avait pas pas habitué à ça. Or ce parti pris n’est ni un hasard ni un détail: il est la clé du film. Yves Zans est sans épaisseur et sans vie parce qu’il n’est qu’un prétexte: Dans Barbara, Mathieu Amalric n’est plus un personnage. Le film dont il est question n’est pas celui de Zans mais bel et bien le sien. Alors peu importe Brigitte, peu importe Barbara. Amalric filme Balibar, ou plutôt Balibar interprétant une actrice qui lui ressemble mais n’est pas tout à fait elle, jouant le rôle d’une femme disparue mais plus que jamais présente, à laquelle elle ressemble étrangement et semble s’identifier de manière de plus en plus troublante. Le plaisir qu’Amalric prend à la filmer est évident, il crève l’écran et envahit tout. Mais qui filme-t-il vraiment et le sait-il lui-même? Une actrice étrangère gentiment cabotine et légèrement mythomane, une artiste qu’il admire et dont il pressent qu’elle saura faire revivre l’évanescente idole, ou bien une femme qui fut sa compagne et à travers laquelle il cherche à saisir l’ombre de celle qu’il a aimée? Le film ne donne pas de réponse mais on sent bien qu’il y a dans la démarche d’Amalric quelque chose d’extrêmement personnel. Comme le dit Brigitte à Zans: “Vous faites un film sur Barbara ou vous faites un film sur vous?” Ni l’un ni l’autre et Jeanne Balibar le sait bien. C’est un film sur elle que Mathieu Amalric est en train de tourner. Un film qui voudrait que le cinéma soit capable de ressusciter le temps perdu, même de manière illusoire, comme une lanterne magique dont la danse serait si saisissante qu’elle permettrait aux adultes de croire encore aux histoires. Inventer ou réinventer la vie en créant des personnages , c’est bien le but du film, et c’est peut-être également ce qu’il dit de plus vrai sur la Dame Brune. une magie qui trouve en elle-même sa propre limite: l'inconscient est-il un bon cinéaste? Suivant le principe un peu mystique de la sérendipité, Mathieu Amalric, tel Colomb découvrant l’Amérique en pensant fouler le sol indien, réinvente Balibar en pensant redécouvrir Barbara. Le principe est séduisant mais son égotisme le rend un peu stérile et indéniablement frustrant pour le spectateur. Le film nous place en effet dans la position particulièrement incofortable de celui qui est tenu d’assister à une cérémonie à laquelle il n’est pas convié. Pas très à l’aise dans notre petit fauteuil, nous découvrons pourtant là une problématique particulièrement intéressante. Car de cet aspect des choses Mathieu Amalric n’a jamais parlé. Il est même troublant de remarquer avec quelle impatience il change de sujet dès qu’on aborde la question du rapport à son actrice. Coquetterie d’auteur ou déni inconscient? Le retour du refoulé serait-il capable de créer un film dans le film (un de plus) à la barbe de son réalisateur et quelle serait alors sa valeur? On le voit, Barbara pose davantage de questions qu’il ne fournit de réponses: si sa vision est décevante les questions qu’il soulève sont déjà bien plus intéressantes. Et ce n’est peut-être déjà pas si mal.
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