Dans cette nouvelle occurrence d'Après la bataille, particulièrement bien nommée pour le coup, Sophie Louge a souhaité revenir sur la polémique qui a entouré la sortie du film de Bertrand Bonello, vilipendé par une certaine partie de la critique comme des médias généralistes pour ce qu'il n'était pas. Alors Nocturama, apologie esthétisante et irresponsable du terrorisme ou regard mélancolique sur une jeunesse condamnée par une société moribonde au suicide flamboyant ? Sophie Louge répond. PARIS n'est plus une fête Nocturama: projet pour une révolution à Paris En 1970, Alain Robbe-Grillet publie Projet pour une revolution à New York. Dans une atmosphère qui tient davantage du happening que du coup d’état, on découvre ce qui a succédé au règne du grand capital: une vitrine géante où déambulent des femmes trop parfaites pour être belles, trop mécaniques et interchangeables pour être vivantes. Le plein pouvoir du phantasme et du sexe, du rêve et de la drogue donnent à la ville des airs de cité fantôme. Celui dont on attendait qu’il s’engage politiquement propose un inquiétant spectacle de marionnettes, un jeu macabre entre émancipation et soumission où le sado-masochisme est la carte maîtresse. De quoi choquer aussi bien les révolutionnaires idéalistes que les réactionnaires matérialistes. Si Nocturama dérange aujourd’hui c’est sans doute que l’on considère encore qu’une critique du capitalisme se doit d’être sérieuse donc directe. Loin de cette vision d’un art responsable et réaliste, Bonello nous propose une fascinante lanterne magique projetant à travers un inquiétant théâtre d’ombres les phantasmes capitalistes les plus honnis: le luxe, le règne de l’apparence, la jouissance consumériste. On crie au scandale: comment oser prétendre dénoncer le capitalisme en enfermant ses détracteurs dans son temple, en les montrant se vautrer avec délices dans tous les excès et les vices de la société de consommation! Si le grand magasin devient une scène de théâtre idéale, une aire de jeux sans limites, un lieu de jouissances perverses, comment peut-il demeurer le cadre d’un portrait à charge? Projet et projection On pourrait presque penser à une publicité pour la Samaritaine si, par son hybris,le plaisir coupable n’était fatalement tragique. Car, pris à leur propre piège, les comploteurs ne deviennent pas des consommateurs comblés mais des mannequins déshumanisés, presque déjà morts. C’est bien ce qu’ils comprennent en les découvrant habillés et maquillés comme eux. Alors peut-être qu’en voulant anéantir la société de consommation ils succombent à la dernière tendance, au dernier snobisme. Mais ce shopping nocturne très VIP sera leur dernière aventure. Ils voulaient détruire des symboles et se retrouvent prisonniers d’ images mortifères : la lutte contre le capitalisme génère sa propre destruction: leur complot est un attentat suicide. On ne pardonne certainement pas non plus à Bonello de rendre ses terroristes en herbes aussi attachants, aussi vulnérables, aussi proche de nous au fond. Petits poucets sans cailloux, ils ont tous les codes d’accès mais pas d’issue. Pris dans la gueule du loup, ils sont plus terrorisés que terroristes lorsqu’il découvrent qu’ils sont eux-même à l’image de ce qu’ils voulaient détruire. Ils vont tirer dans des miroirs et mourir en même temps que leur propre reflet. Régression et initiation Pendant toute la première partie du film, on assiste aux préparatifs méticuleux et cabalistiques des attentats. Les chassés croisés dans le métro évoquent irrésistiblement ceux de Paris nous appartient. Le jeu de piste et le plaisir qu’il procure éclipse l’atrocité de son objet: ce sont des enfants qui jouent à se faire peur. Ils veulent détruire une société, bouleverser le cours de l’Histoire, s’engager idéologiquement et physiquement, être dans la lutte et l’action mais ils jouent. Ils jouent une vie plus intense et plus forte que les petites existences limitées dans lesquelles ils étouffent. Ils jouent faute de mieux, parce que la société les a rendu incapables de changer la réalité, les a condamnés à demeurer des rêveurs en fuite, à la recherche de leur propre mort. Ces enfants qui ne veulent pas grandir parce qu’ils détestent les adultes qu’ils deviendront se réfugient dans le ventre de Paris, prisonniers de cette génitrice possessive qui ne les laissera jamais voler de leurs propres ailes autrement qu’en rêve, autrement que par écran et phantasmes interposés. Danse autour du vide La construction en diptyque, renvoyant dos à dos les deux parties du film par une sorte de symétrie inversée, nous propose une clé. Le passage du jour à la nuit, de l’extérieur à l’intérieur, de l’agitation fébrile à l’immobilisme forcé se fait brutalement, sans transition. Cette transition (les attentats) est à la fois au cœur du film et comme entre parenthèses. Elle n’apparait à l’écran que très rapidement et toujours indirectement. Ce sont des masques qui tombent mais derrière il y a d’autres masques et finalement rien n’a véritablement eu lieu. La préparation précède le vide, l’angoisse et la répression lui succèdent. La mort programmée est le seul évènement. Comment reprocher à Nocturama d’être un nouvel exemple du vide politique qui discrédite le cinéma français alors que c’est une si poignante dénonciation du néant idéologique qui ronge notre société? Ce que nous dit Bonello c’est qu’on ne peut plus changer le monde quand il nous a déjà changé. Inutile d’enfiler une veste Mao ou d’ouvrir un petit livre rouge comme dans La Chinoise: nous sommes fatalement vêtus comme les mannequins des vitrines. Toute révolte est condamnée à devenir une autre forme de soumission, même secourir un sdf c’est le tuer. Alors à quoi bon agir? Autant se réfugier dans la nuit d’une salle obscure. NOCTURAMA de Bertrand Bonello, avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottier, Hamza Meziani 2016/2h10 Sorti le 31/08/2016
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