ATTENTION CA VA SPOILER SEVERE... Alors, le nouvel opus de Nicolas Winding Refn, chef d’œuvre esthétique ou ratage pompeux ? Et bien, comme toujours avec le surdoué danois, la vérité est quelque part entre les deux. The neon demon ambitionne de nous narrer la violence et la vacuité du monde de la mode, et plus largement de notre civilisation basée sur le « paraître », en suivant le destin de Jessie, jeune fille de la campagne à peine nubile, montant en Californie tel un papillon de nuit affolé par la lumière de l'ampoule sur lequel elle va se griller les ailes (cette métaphore subtile est à l'aune de celles du film, je n'y suis pour rien). Ca vous dit quelque chose ? C'est normal, car c'est un thème récurrent du cinéma hollywoodien depuis que des cinéastes émigrés fuyant l'Europe et découvrant « l'usine à rêve » ont compris, pour en avoir été eux-même la victime, ce qu'est un miroir aux alouettes. Billy Wilder, en réalisant Boulevard du crépuscule en 1950, avait déjà tout dit sur le sujet ; plus récemment, et sur un mode mineur, David Cronenberg et son Map to the stars avait recentré la question sur la tyrannie de la jeunesse qui obère la carrière des actrices hollywoodiennes ; et David Lynch a peut-être réalisé le film définitif sur l'usine à cauchemar avec Mulholland drive. Alors quand Winding Refn s'attaque à la montagne, sachant ce dont le bonhomme a été capable par le passé, c'est peu dire qu'il était attendu au tournant après l'échec du grand-guignolesque Only God Forgives. Alors ces attentes, comblées ? Oui et non. L'angle qu'il choisit, c'est le cannibalisme : Jessie est avalée puis recrachée par le système, à la fois littéralement et métaphoriquement. Trop belle, trop vraie pour ce monde d 'apparence, elle ne peut y survivre. C'est quand elle succombe à la tentation qu'elle scelle son destin, qui la mène de délires paranoïaques en scènes hallucinatoires vers un final aussi grandiloquent que baroque. Ce qui se traduit à l'écran par des montages stroboscopiques, des couleurs ultra-saturées, des personnages isolés sur un fond blanc éclatant qui les objectivise tout en les déréalisant, des décors rococo ou complètement dépouillés. NWR (oui appelons-le par son acronyme, ça fait auteur installé et ça lui fait tellement plaisir) sort toute sa quincaillerie pour nous plonger dans une expérience qu'il voudrait immersive, piquant aux plus grands (Kubrick est la référence la plus explicite, mais on peut retrouver sur les étagères de son bric-à-brac conceptuel Von Sternberg ou Welles; on peut même en fouillant bien dénicher un bout d'Argento ou de De Palma, voire de Clouzot et son film jamais sorti L'Enfer), y ajoutant son savoir-faire -et Dieu sait que le bougre n'en manque pas- pour espérer accoucher d'une créature filmique unique: une chimère. Son univers barrés de tube néons multicolores ou prédominent les teintes primaires rouges et bleues abrite un labyrinthe truffé de miroirs menteurs dans lesquels se découpent les silhouettes prédatrices de diablesses tentatrices et saphiques, d' Erynnies envieuses et vengeresses, de Pygmalions sadiques et de chevaliers servants bien mal armés pour le combat qu'ils se livrent autour de l'âme de Jessie. Au fur et à mesure que se déroule le récit il se fait clair, tant par l'utilisation des décors que dans la façon de le cadrer, que nous sommes dans une fable, un conte de fée, et comme tout conte de fée, celui-ci à une morale. Et c'est là que le bat blesse. NWR est un formaliste, ce qui l'intéresse c'est de raconter des histoires par l'image,et tant qu'il s'en tient là, tout baigne. Ça donne des réussites plastiques et narratives comme Le guerrier silencieux ou Drive. C'est quand il s'aventure sur le terrain de la pensée que ça se gâte. Bien qu'il se pique de cérébralité, NWR n'est pas un penseur. Fasciné par son propre talent visuel, et lui faisant peut-être exagérément confiance il met en place un dispositif extrêmement sophistiqué pour au final dire peu de chose. Hollywood est un repaire de pervers sociopathes qui corrompent la jeunesse et broient impitoyablement les écervelés qui s'égarent entre ses murs ? Ben oui, mais c'est pas un scoop, ça fait parti de la légende noire d'Hollywood, qui attire au moins autant que sa face glamour, titillant nos penchants pour les faits divers sordides et les chutes icariennes. Mais bon, passe encore, après tout ce n'est pas grave si l'histoire n'est pas originale, à condition que son traitement le soit. Et là encore ça coince. Loin de moi l'idée de prétendre que le film serait banal : il regorge d'inventions visuelles plus culottées les unes que les autres, cela personne ne peut le nier. Le problème, c'est que, corseté dans son dispositif ultra-codifié, NWR échoue à nous faire ressentir la moindre empathie avec ses quelques rares personnages positifs, et encore moins avec son héroïne ; baladée au gré d'un script qui nous la présente comme la nouvelle Galatée, la pauvre Elle Fanning a bien du mal à faire exister son personnage, tiraillée entre innocence de bergère de comédie pastorale et sex appeal d'une Lilith devant laquelle ploient hommes et femmes, succombant à son charme surnaturel. D’où, aussi, quelques flottements dans le casting ; si dans l'ensemble les comédiennes ne s'en tirent pas trop mal, on a en revanche beaucoup de mal à prendre au sérieux Keanu Reeves dans le rôle d'un concierge de motel macho et menaçant. C'est à ce genre de décisions prises en dépit du bon sens qu'on repère le syndrome de l'Auteur prisonnier de son Idée. Paradoxalement, le film arrive donc à l'opposé de ce qu'il voulait montrer (si j'ai bien compris): Jessie est filmée comme une marionnette, n'est jamais émouvante, jamais troublante, et c'est avec une indifférence polie qu'on la regarde avancer crânement vers la boucherie finale. Ce qui fait le plus défaut au film finalement, c'est son absence de mystère. Là où Lynch construisait patiemment un dédale destiné à nous perdre dans ses méandres, épousant ainsi la destinée des personnages se perdant eux aussi dans les ténèbres de la course à la gloire, NWR se perd tout seul dans son Palais des Glaces, et nous oublie, nous, aux portes d'icelui. De là à dire que The neon demon ne serait rien d'autre qu'un immense Ego Trip, il y a un saut (de puce certes) que je me garderai bien de franchir. Pour l'instant. Alors peut-être suis-je passé à coté du film, et dans ce cas je serai curieux de lire dans les commentaires ce que vous y avez vu et que je n'ai pas vu, mais pour ma part le feu d'artifice annoncé m'a plutôt fait l'impression d'un pétard mouillé. THE NEON DEMON De Nicolas Winding Refn, avec Elle Fanning, Karl Glusman, Jena Malone, Keanu Reeves USA/Danemark/France 117mn 2016 interdit aux moins de 12 ans Sorti le 8 juin 2016
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