C'est l'histoire d'une rencontre, un soir dans une voiture, celle d'un pauvre type aux abois et d'un sac de sport rempli d'oseille; et quiconque a déjà vu ne serait-ce qu'un Film Noir dans sa vie sait déjà que ce genre de rencontre ne peut que très mal se terminer. Parce que ce sac appartient à la mauvaise personne, de celle qu'il ne faut pas contrarier, parce qu'il est trop tentant de ne pas s'en emparer en dépit des conséquences, et bien évidemment parce que la dîte mauvaise personne va chercher à le récupérer, quitte à laisser du sang sur les murs et des cadavres dans les caniveaux. C'est une histoire vieille comme le monde et qui pourrait se passer n'importe où, dans les faubourgs mal famés de Naples, de Los angeles où d'Abuja, mais ça se passe dans ceux d'une ville anonyme de Chine, de nos jours, où le destin des pauvres types n'y vaut pas davantage que partout ailleurs: « baisse la tête, ne fais pas vague, et tu survivras peut-être un jour de plus, ou au moins jusqu'à la tombée du jour ». Tout cela Xiao Zhang est bien placé pour le savoir, il est même aux premières loges, puisqu'il est le chauffeur d'Oncle Liu, le Maffieu local, et que ce sac informe bourrés d'un million de Yuan lui appartient; il sait très bien à quels risques il s'expose au moment ou il tend son couteau sous la gorge du sbire chargé de convoyer l'argent. Ce n'est même pas pour lui qu'il va mettre sa peau en jeu, elle ne vaut rien, ou si peu. C'est pour la femme qu'il aime, défigurée par une opération de chirugie esthétique désastreuse, pour lui offrir une seconde chance, si tant est qu'elle en est eu une première...Dans la nuit profonde dans laquelle il s'engouffre, et dans la journée qui poindra, Xiao Zhang va tenter d'échapper dans un combat perdu d'avance au tueur à gage lancé à ses trousses, mais aussi à tous les vautours, que l'odeur de l'argent attire comme celle d'un animal blessé et va mettre sur son chemin. Car l'argent est le vrai sujet d'Have a nice day, aussi omniprésent dans la tête et les discours des protagonistes qu'elle est absente de leur vie. Dans cette Chine Nouvelle, zébrée d'autoroutes n'allant nulle part, mitée de banlieues lugubres aux édifices de béton craquelé comme autant de miroirs aux alouettes brisés, les rêves ont les couleurs néons des enseignes publicitaires vantant un mode de vie auquel Xiao Zhang et des millions d'autres chinois issus comme lui du Lumpenproletariat n'aura jamais accès, en tous cas pas honnêtement. Comme en Occident, serait-on tenté de dire, mais s'y ajoute une dimension schizophrène propre à la Chine moderne, qui continue officiellement à s'aligner sur le modèle maoïste tout en développant un capitalisme d'Etat parmi les plus agressifs du monde ; et cette dichotomie vécue au ras du sol par Xiao et ses condisciples d'infortune ne peut qu'engendrer les plus irrésistibles frustrations, et les plus grand accès de violence... Portrait au vitriol d'un pays au bord de l'implosion, Have a nice Day dresse le constat amer et désabusé d'une Chine qui ne croit plus en rien mais continue de faire semblant, où les discours officiels diffusés à la radio ne sont plus écoutés par une population qui ne compte plus que sur elle-même, et où le seul slogan qui fasse encore mouche n'est plus "Que cent fleurs s'épanouissent" mais "Marche ou crève". Baignant dans une esthétique "Pop" héritée des années 70 rappelant ironiquement les grandes heures de la propagande pro-Mao en Occident, Liu Jan en détourne les codes avec un sens consommé de l'humour noir dans des séquences frôlant parfois le psychédélisme pour appuyer là où ça fait mal: les discours officiels sont des leurres, les chansons révolutionnaires des bluettes vides de sens et la réalité, absurde : une impasse. Pour Liu Juan,le destin des hommes est une farce macabre et dérisoire dont il faut ricaner, faute de pouvoir le changer. Pas étonnant après ça que le BCC (le bureau du cinéma chinois) ait fait interdire le film au Festival d'Annecy! Film irrévérencieux, iconoclaste et désespéré, animé artisanalement par un auteur délibérément en marge du système de production chinois pour conserver sa liberté créatrice, Have a nice Day a fini par passer les fourches caudines de la censure pour arriver jusqu'à nous; un témoignage éloquent de la vigueur du jeune cinéma chinois, qui à l'instar de Xiao Zhang, refuse de mourir, contre toute évidence. HAVE A NICE DAY Film d'animation écrit et réalisé par Liu Jian avec les voix de Zhu Changlong, Cao Kai, Liu Juan, Yang Siming.. Chine / 1h17 / VOST SORTIE EN FRANCE LE 20/06/2018
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