Par Sophie Louge Itinéraire d’un surdoué qui a la poisse ou comment tirer le bon numéro à la loterie de la vie un docu-fiction? Bien sûr on peut être tenté de voir le film comme un documentaire façon Splendeurs et misères des chapiteaux: un monde en voie de disparition, marginalisé par une société matérialiste où le rêve n’a pas sa place, des vies entières, de l’âge tendre à la décrépitude, passées dans des conditions précaires, comme si le confort moderne refusait de se frayer un chemin au milieu des roulottes. De ce monde du cirque on ne voit effectivement que l’envers du décor, éminemment décéptif. Pas de piste aux étoiles mais des cages de fauves dont il faut nettoyer les excréments, pas de jeunes et belles écuyères mais des vieilles femmes fatiguées et outrageusement fardées, des artistes qui passent le plus clair de leur temps à monter et démonter des structures vétustes, à réparer des ballons d’eau chaude ou des alimentations électriques. Dans la lignée du néoréalisme italien, le film serait alors avant tout un plaidoyer en faveur des oubliés et des exclus. D’où le caractère extrêmement ténu de la narration, comme s’il ne s’agissait que d’un prétexte : un dompteur de fauves déprimé qui parcourt la Botte à la recherche d’un fer à cheval fétiche qu’on lui a dérobé. Si une telle analyse est bien entendu loin d’être fausse elle n’en demeure pas moins réductrice. Car ce qui est capital dans le film c’est que Taïro prend la route, peut être effectivement parce qu’il veut à tous prix retrouver son fer à cheval, mais pas seulement. Dans sa roulotte, à côté du fétiche il y avait un vieux téléviseur où la scène de mariage du Parrain passait en boucle. Or au sein de la troupe, Taïro joue plutôt le rôle du souffre-douleur et semble incapable de demander en mariage la femme qu’il aime. C’est avant tout cette impuissance qu’il fuit, ces problèmes dont il sent que la solution est ailleurs. Si le film ne peut pas vraiment s’apparenter au néo-réalisme au sens premier de reproduction documentaire du réel à visée didactique et idéologique, il correspond en revanche parfaitement à la définition qu’en propose Deleuze: le remplacement de l’image-action par l’image-idée. Il ne se passe pas grand chose dans le film et pourtant on ne s’ennuie pas un seul instant. Les yeux et l’esprit ont trop à faire. Chaque image, splendide, nous dit quelque chose qui se situe bien au-delà d’elle-même et nous demande, pour en saisir pleinement la signification, d’en convoquer beaucoup d’autres. Tout d’abord c’est l’Italie, la langue est chantante et on fait le café dans des cafetières bialetti mais c’est bien tout ce qu’on retrouve de nos images d’Épinal, perdues au milieu de l’hiver. Petits matins blêmes, crépuscules tristounets et puis toujours la grisaille, la pluie et la gadoue. Ça c’est l’écrin, sans lequel le joyaux perdrait de son éclat. Car dès qu’on entre dans les roulottes tout change: lumières colorées, tissus chamarrés, babioles étincelantes, on entre dans un véritable conte des milles et unes nuits. En un “abracadabra soulève toi et étale toi” une table de formica se recouvre d’un tissu somptueux et de plats dignes du Satyricon. Mais comme les roulottes elles-mêmes, ce monde merveilleux est extrêmement précaire et fragile. Une panne de courant, un fer à cheval disparu et tout redevient sordide. Alors il faut partir, chercher la clé qui remontera cette jolie petite boîte à musique. entre road movie et conte initiatique Car entendons nous bien, malgré la boue et les caravanes, on n’est pas dans un film des frères Dardenne époque Rosetta. Avec son allure d’éternel bambino et ses boules d’angelot dodu, Taïro ressemble davantage à un personnage des Contes d’Hoffman de Michael Powell, tout comme Wendy, la belle contorsionniste, qui malgré son prénom de sitcom a tout d’une poupée vivante, à mi-chemin entre la femme enfant et la créature mécanique. Dans son costume d’écuyère, savamment coiffée et fardée au milieu de nulle part, c’est une créature surréaliste qui n’est pas sans évoquer la Nadja de Breton dont elle partage le goût des prophéties. Taïro l’épousera un jour mais ne songe même pas à l’approcher. Ils s’aiment comme des enfants, comme des marionnettes de théâtre d’ombre, de manière très pure et très abstraite en même temps. Là encore l’amour n’est pas un élément narratif mais un créateur de sens. C’est parce que Wendy le voit malheureux et veut l’aider, et parce qu’il ne veut pas la décevoir que Tairo part. Leurs chemins se séparent mais ils cherchent la même chose: la formule magique qui réenchantera leur univers. Des formules magiques ils en ont pourtant beaucoup testées: cartomancie, vaudou, inversion gravitationnelle, cierges… mais elles ne fonctionnent plus. Comme les plus petits de la troupe, ils savent que le père Noël n’existe pas mais il voudraient y croire encore. Pourtant, ce n’est plus l’enfance qui transformera leur vie en songe. Il faut trouver dans le monde adulte ce qui permettra de métamorphoser le réel et le réenchanter. Pour échapper au prosaïsme il va donc falloir l’affronter. l'art contre le mauvais œil La partie n’est pas gagnée. Dès le début du film tout va mal, anormalement mal. Tous les cirques font recette sauf le leur, l’eau monte sur les routes en pente, les tigres meurent et les lions n’obéissent plus. La jolie contorsionniste a le dos en vrac, Monsieur univers ressemble davantage à un petit vieux arthritique qu’à un colosse bodybuildé, l’ancien chanteur à succès erre en charentaises dans sa cuisine, les costumes de scènes sont décolorés et poussiéreux. Bref, la magie n’opère plus. Mais la foi n’a pas disparu: pas celle des chapelets et des processions (lorsque Taïro en croise une il est d'ailleurs à contre sens) mais celle des gris-gris, des souvenirs et des rêves d’enfant. Car ce road-movie est un pèlerinage, non pas religieux mais nostalgique. Oui TaÏro a la poisse (on lui coupe l’électricité, ses bêtes sont maladies, on lui a vole ses affaires) mais il a un don, il est irrésistible. Personne ne peut lui dire non, ni les fauves, ni les femmes, ni les artistes qu’il rencontre au hasard de sa route. Ils le mèneront jusqu’à Monsieur Univers qui lui révèlera la recette du conte de fées éternel: croire en soi pour être le meilleur, celui qui fera rêver petits et grands pour l’éternité. Wendy quant à elle n’aura pas trouvé le père mais le fils, pas la philosophie mais le symbole: un nouveau fer qui prouve que les choses ne se perdent pas mais se transmettent par amour et se recréent. Alors, lorsqu’ils se retrouvent, pour la première fois, on découvre la piste. La magie retrouvée, on peut lancer le spectacle et leur vie peut commencer. MISTER UNIVERSO écrit et réalisé par Tizza Covi et Rainer Frimmel avec Tairo Caroli, Wendy Weber, Arthur Robin, Lilly Robin 2017 / Italie & Autriche / 96 mn Sortie en France le 26 Avril 2017
1 Commentaire
Hippolyte Büro
11/5/2017 00:59:33
Et pour ceux que la fragile poésie de ce film aurait séduit, je ne saurais trop vous conseiller d'aller découvrir "La pivellina" et "l'éclat du jour", les précédents films de Covi et Frimmel, deux bijoux de délicatesse et d’âpreté, une vrai bouffée d'air frais dans l'univers sclérosé des productions lambda!
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